Crise en Afghanistan : "Biden devra prouver qu'il est encore capable de gouverner la première puissance mondiale"

Propos recueillis par Thibault Nadal
Publié le 31 août 2021 à 17h46, mis à jour le 31 août 2021 à 17h54

Source : JT 20h WE

INTERVIEW - L'armée américaine a quitté l'Afghanistan dans la nuit de lundi à mardi, laissant le pays aux mains des talibans. La première grande crise internationale pour Joe Biden depuis son élection. Une situation dont le président américain, qui devrait s'exprimer mardi soir, sort perdant, selon notre éditorialiste internationale Catherine Jentile de Canecaude.

Les derniers soldats de l'armée américaine ont quitté l'Afghanistan dans la nuit de lundi à mardi. Une situation symbolisée par l'image du dernier officier en train de quitter Kaboul. Après vingt ans de guerre, Washington laisse un pays désormais dirigé par les talibans.

Joe Biden, qui doit s'exprimer mardi soir, est depuis plusieurs semaines sous le feu des critiques pour ne pas avoir su gérer cette crise en Afghanistan, bien que la situation actuelle soit aussi la conséquence de décisions antérieures au mandat du président américain. Comment les États-Unis, mais surtout lui peuvent-ils rebondir ? Éléments de réponse avec notre éditorialiste internationale Catherine Jentile de Canecaude. 

Des Américains se trouvent-ils encore sur le sol Afghan ? 

Oui, un peu moins de 250 personnes selon le secrétaire d'État Anthony Blinken. On ne sait pas de qui il s'agit, ni où elles se trouvent. Les Américains restés sur place n'ont pas pu rejoindre l'aéroport, car ils se trouvaient dans des zones trop éloignées. Pour les autres, certains appartiennent à des organisations humanitaires, d'autres sont mariés à des Afghanes. On n'en sait pas beaucoup sur ces personnes, mais c'est sûrement pour les protéger. Les autorités ne veulent pas les exposer publiquement, car cela renforcerait l'insécurité autour d'eux. 

L'administration américaine va devoir trouver un autre moyen pour évacuer les civils que le pont aérien. Le problème en Afghanistan, c'est qu'à partir du moment où l'on ne quitte pays le pays en avion, il faut réussir à passer les cols des montagnes. C'est déjà très périlleux hors crise, mais cela va être encore pire, car les personnes qui ne sont pas parties vont trouver sur leur route des factions talibanes postées près des frontières. Les talibans font amende honorable en disant qu'ils veulent continuer à avoir des relations avec les États-Unis, mais la moitié de la direction des talibans sort directement du camp de Guantanamo, dont le numéro 2, qui est resté emprisonné 13 ans là-bas. On peut imaginer la haine qu'ils ont eu le temps de se forger à l'encontre des Américains. Entre ce qu'ils disent officiellement et la réalité sur le terrain, il risque d'y avoir une différence, surtout s'ils capturent un ressortissant américain.

Un retrait qui ne passe pas auprès des Américains

Quelles sont les conséquences de ce retrait pour les Américains ?

C'est une faillite complète de la classe politique américaine. Comment, après 20 ans sur le sol afghan, peuvent-ils quitter le pays dans des conditions aussi piteuses et sans préparation ? Le plus spectaculaire, c'est de constater la faillite des services de renseignements américains qui ont été complètement en dehors de la réalité. Il y a quelques mois, Joe Biden disait encore qu'il n'était "pas inévitable que les talibans prennent le pouvoir en Afghanistan". S'il a dit ça, c'est que les services secrets le lui ont soufflé.

Mais Biden lui aussi n'est pas exempt de tout reproche. Initialement, il avait fixé la date de retrait au 11 septembre, 20 ans jour pour jour après les attentats. Symboliquement, c'était encore plus dévastateur que le 31 août. Pour un président des États-Unis, c'est une énorme faute.

Peut-on envisager une reconnaissance du pouvoir taliban par les États-Unis ? 

Les Américains ont envie de croire aux belles promesses des talibans. Il serait moins catastrophique pour eux de dire dans quelques mois, 'vous voyez, notre départ a été chaotique, mais finalement les talibans sont devenus des gens plus raisonnables qu'à leur époque'. Ce ne serait pas un naufrage total, parce qu'ils pourraient se raccrocher au fait que les talibans sont devenus des gens raisonnables. C'est évident qu'ils vont essayer de maintenir le dialogue avec les talibans pour avoir cet argument à opposer à la communauté américaine puis mondiale. Pour essayer de rectifier le tir, ils vont dans un premier temps garder le contact.

Sur le long terme, ils vont juger les talibans sur plusieurs choses : les droits de l'homme, les droits des femmes et la drogue. Ils vont voir si les talibans cochent ces cases et après les dirigeants américains pourraient envisager de discuter pour reconnaître le pouvoir taliban. 

Que peut-on attendre du discours de Joe Biden ce soir ? 

Je m'attends à deux choses : la première, c’est que Joe Biden va montrer son côté empathique en rendant hommage aux militaires américains rentrés ou tués. Il va surtout devoir donner une perspective au peuple américain qui a été extrêmement choqué par ce qui s'est passé en Afghanistan. 

La deuxième est personnelle. Il devra prouver qu'il est encore capable de diriger la première puissance mondiale, car il commence à chuter dans les sondages et certains remettent en doute sa capacité à gouverner en disant qu'il est trop vieux pour cette fonction. Il doit surtout se justifier sur le calendrier du retrait, qu'il s'est clairement fait dicter par les talibans. Il va devoir exposer ses raisons pour ne pas apparaître comme quelqu'un de faible. 


Propos recueillis par Thibault Nadal

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