Depuis plusieurs semaines, les États-Unis accusent la Russie de masser des dizaines de milliers d'hommes à la frontière avec l'Ukraine dans le but d'envahir le pays, tandis que la Russie dément.Cette stratégie militaire de "camouflage" ou de "tromperie" n'est pas nouvelle et est appelée "maskirovska".
La Russie serait-elle en train de duper les Occidentaux ? C'est en tout cas ce que dénoncent, entre autres, les États-Unis, qui durant ces semaines où les tensions n'ont eu de cesse d'augmenter à la frontière entre l'Ukraine et la Russie, ont dénoncé les fausses déclarations de la part de Moscou.
La Russie, accusée d'avoir massé 150.000 soldats aux frontières de l'Ukraine en vue d'une invasion, mènerait également une intense guerre de la désinformation afin de préparer l'opinion publique à une invasion de grande ampleur. Une stratégie militaire dont le président russe Vladimir Poutine ne manquerait pas de faire usage, appelée "maskirovska".
Une stratégie militaire "globale"
Ce concept russe, qui peut se traduire par "déguisement", "camouflage", ou encore, plus spécifiquement "désinformation", désigne une stratégie militaire mise en place par la Russie, visant à laisser son ennemi dans l'incertitude. Il s'agit d'"un ensemble de mesures prises pour cacher un certain nombre d'informations ou d'installations, tromper l'ennemi sur ses plans et augmenter sa capacité d'agir, ce qui inclut tout à fait le camouflage d'un tank par exemple, mais aussi, la désinformation", définit ainsi Sophie Coeuré, professeur d'histoire à l'Université de Paris et spécialiste de la Russie.
Cette stratégie, reconnue de manière tout à fait officielle par le ministère de la Défense russe, n'est pas nouvelle et aurait été mise en place côté russe dès l'entre-deux-guerres. Pour la professeure d'histoire, si elle est encore utilisée actuellement par Vladimir Poutine, cela serait lié à deux héritages. À la fois celui de protéger le vaste empire, aujourd'hui pays, qu'est la Russie, et celui, proprement soviétique, de combattre les valeurs occidentales, contre lesquelles il était justifié d'utiliser tous les moyens possibles.
"Le multilatéralisme, le respect du droit international, les Russes l'ont fait dans les années 1980-1990. Depuis, ils considèrent qu'ils se sont fait humilier et que la Russie est devenue une toute petite puissance. Donc maintenant, on revient aux fondamentaux de la politique russe, y compris en employant des moyens qui, vus du côté occidental, sont scandaleux", détaille Sophie Coeuré.
Déjà, lors de l'invasion de la Crimée en 2014, une telle stratégie avait été mise en place. De mystérieux soldats à l'uniforme vert y avaient été envoyés, sans que leurs actions soient reconnues par Moscou. Ce n'est que cinq semaines après l'annexion de la péninsule que Vladimir Poutine avait effectivement reconnu que ces troupes étaient russes.
Durant la crise actuelle, cette stratégie de la "maskirovska" se retrouverait dans les dénégations de la part de la Russie de préparer une invasion en amassant des soldats à la frontière, alors même que les images satellites montrent effectivement un rassemblement de troupes. De même, à plusieurs reprises, les États-Unis ont averti que la Russie pouvait mettre en scène de fausses attaques pour avoir des motifs d'invasion.
Tandis que la Russie paraît jouer le jeu des Occidentaux en menant une politique diplomatique ouverte, rien ne l'empêche donc en sous-main de continuer à planifier des opérations militaires, créant la confusion dans le camp adverse. "C'est une vision cynique, mais très globale de la guerre qui inclut cette dimension de désinformation", résume la professeure.