INTERVIEW - Les deux candidats à l'élection présidentielle américaine se sont affrontés la nuit dernière. Un ultime face-à-face plus feutré que prévu que décrypte Laurence Haïm, spécialiste des États-Unis.
Jeudi soir à Nashville, les candidats se sont livrés à un second débat très attendu après le désastre du premier. Contraint par le règlement, Donald Trump s'est glissé dans le rôle du président sortant qu'il avait évité jusqu'ici. Joe Biden a cette fois pu exposer sa vision de l'Amérique, mais sans vraiment détailler son programme. Les deux hommes ne se croiseront à nouveau que si le second chasse le premier de la Maison-Blanche.
Il reste douze jours aux électeurs américains pour se décider, jusqu'au scrutin. Un très grand nombre d'entre eux l'ont déjà fait de façon anticipée, dans des proportions jamais vues. Le débat d'hier soir ne fera sans doute pas bouger les lignes déjà connues des deux camps. Plus que les indécis, qui ne sont plus que 3%, c'est la mobilisation d'un camp ou de l'autre qui devrait arbitrer le duel final. Mais dans cette campagne folle, de nombreuses surprises pourraient survenir d'ici au 3 novembre.
Un Trump présidentiel
Ce débat était très attendu, voire redouté : comment l’avez-vous trouvé ?
Laurence Haïm : Pour moi le débat a été de bonne tenue, c’est la première fois dans cette campagne, qui est n’est pas ordinaire, qu’on a vu les candidats bien se tenir, être structurés, respecter les temps de parole, ne pas se couper la parole ou s’invectiver comme lors du premier débat.
C’était enfin un débat de substance, en cela c’était vraiment intéressant. J’ai trouvé que Donald Trump avait beaucoup travaillé ses dossiers, qu’il était beaucoup plus calme. On s’attendait à ce qui fait sa marque de fabrique, à savoir la colère, l’irascibilité, l’énervement contre les journalistes, et finalement on n’a pas vu ce Trump-là.
Mais s’il s’est montré calme et finalement très politique, Trump a tout de même asséné beaucoup de contrevérités, beaucoup de mensonges, notamment sur la gestion de la pandémie. De son côté, Joe Biden a choisi de ne pas les relever systématiquement. Sa stratégie était de laisser Trump dire ce qu’il voulait, et de proposer sa propre vision pour “restaurer l’image de l’Amérique”, ou gérer la pandémie.
Pourquoi ce changement de pied de Trump, par rapport au premier débat ?
Je suis très surprise de la façon dont il a approché ce débat, on avait l’impression de voir un homme politique conventionnel, qui s’était préparé, ce n’était pas le Donald Trump habituel. En une heure et demie, aucun coup d’éclat. Il s’est montré très calme, très déterminé et très sûr de ses choix. Il semblait persuadé que tout ce qu’il a fait c’est pour le bien de l’Amérique, en tout cas c’est ce qu’il montrait hier soir. Bref on a entraperçu un Trump présidentiel.
Ni perdant, ni gagnant
C’est la première fois qu’il se montre en président sortant, qu’il ne joue pas l’outsider…
C’est surtout la première fois qu’il ne joue pas les provocateurs. Il a été un débatteur sérieux, c’est ce qui m’a frappée. Peut-être que s’il avait été comme ça depuis quelques mois, les sondages seraient meilleurs pour lui. C’est un bon débat pour Trump, une prestation réussie… si on met de côté ses contrevérités sur des sujets importants.
Est-ce qu’il peut y gagner quelque chose, à cette bonne performance ?
Je crois que personne ne gagne ni ne perd. L’Amérique de Trump adore la manière dont il s’est comporté. L’Amérique de Biden est persuadée qu’il a été extrêmement bien, précis, noble dans sa manière de défendre sa vision de l’Amérique. Il y a un sondage qui a été fait par CNN : 54% des téléspectateurs estiment que Biden a triomphé. Est-ce que c’est cela présage de ce qui va se passer le 3 novembre ? On va voir, en tout cas ni l’un ni l’autre n’ont fait d’erreur, à défaut de se montrer exceptionnels. C’est pour moi un match nul, où le vrai gagnant c’est la bonne tenue d’un débat à 15 jours de cette élection.
47 millions d'habitants ont déjà voté, ça ne s'était pas vu depuis des décennies
Laurence Haïm
Mais si les lignes ne bougent pas, le gagnant en vue de l’élection, ça reste Biden ?
C’est vrai que les sondages montrent que Biden est loin devant dans beaucoup d’États, même s’il y a quand même un rapprochement des scores dans certains États-clés : ça reste incertain en Pennsylvanie ou en Floride.
Pour le moment, il y a donc un avantage Biden mais il reste 15 jours, et on a vu depuis le début de cette campagne dingue que tout peut arriver. Rappelez-vous qu’il y a trois semaines, Donald Trump était hospitalisé et on se demandait sur tous les plateaux de télévision comment ça allait finir…
On est toujours sur l’immédiat, on perd de vue que les 12 jours restants dans cette campagne pourraient être très long. C’est une Amérique qui est radicalisée, qui n’en peut plus. C’est une Amérique qui veut voter, c’est une Amérique où 47 millions d’habitants ont déjà voté, c’est-à-dire déjà plus que dans toute l’élection de 2016. Ça ne s’est jamais vu depuis des décennies.
Cette forte mobilisation, à qui profitera-t-elle ?
On ne saura qu’en dépouillant les votes, pour qui elle s’est faite. Les démocrates sont confiants, les gens de chez Trump aussi : ils se disent que c’est comme en 2016, les gens n’avouent pas qu’ils sont pour Trump mais le feront en votant. Donc à mon sens il y a bien sûr un avantage Biden, mais dans une campagne qui reste imprévisible. Il faut rester vigilant, il y a un climat de pandémie absolument terrible avec des gens qui souffrent, on vit un drôle de moment et ça c’est global.
Quelque chose m’a frappé hier : au fin fond d’un comté de Géorgie, il y a eu une intrusion informatique. Une puissance étrangère aurait réussi à pirater le système d’un tout petit bureau de vote, à s’emparer des listes électorales et à faire sauter le standard téléphonique. Pas mal de journalistes américains sont en train de travailler sur cette histoire. Et dans le même temps le FBI a mis officiellement en garde contre des puissances étrangères, nommément l’Iran et la Russie, qui pourraient pouvaient modifier des données à distance et manipuler les résultats du vote.
Il y a aussi le risque d’une élection serrée : si on doit recompter, tout va reposer sur l’attitude de Donald Trump. Avec Amy Coney Barrett, une large majorité conservatrice devrait s’installer à la Cour suprême, est-ce que les Démocrates vont riposter, que vont-ils faire ? Il peut y avoir encore des surprises structurelles dans cette élection, que ce soit la nomination d’une juge à la Cour suprême, l’interférence dans l'élection, ou l’imprévisible. Et encore une fois, moi je dis que tout peut arriver avec deux candidats qui ont plus de 70 ans.
On verra si les sondages se sont trompés comme en 2016
Laurence Haïm
Oui, il y la question de ce qui va se passer immédiatement après le vote…
À l’heure actuelle, on peut avoir l’impression que ça pourrait être une grande vague pour Joe Biden, dans ce qui serait en fait un référendum contre Donald Trump. C’est ce que les sondages montrent. On verra s’ils se sont trompés comme en 2016, mais pour l’instant ils suggèrent une victoire nette de Biden.
En revanche, si jamais des États "swinguent", avec un résultat serré, on va les recompter. Et là tout va dépendre de ce que décidera Trump, dans ce système électoral très complexe. Il dispose de moyens considérables, et il y a le danger de la colère de l’Amérique de Trump à prendre en compte.
Deux Amériques irréconciliables ?
C’est paradoxal, un débat aussi feutré, avec des points de vue aussi éloignés ?
C’est ce qui était intéressant dans le débat hier. On a vu deux visions de l’Amérique s’opposer très calmement. L’Amérique de Trump, qui pour la première fois exprimait sa vision à travers un discours assez construit. Notamment sur la pandémie, il a expliqué pourquoi il était contre le confinement, en priorisant l’économie (et faisant complètement abstraction de ce qui touche des millions d’Américains).
De l’autre côté on avait Joe Biden qui au bout de 5 minutes de débat a montré son petit masque noir, serré dans son poing. Et ça j’ai trouvé que c’était intéressant. On était face à deux Amériques très différentes dans leur mode de pensée, et sur tous les sujets, économiques, commerciaux, climatiques, et qui sont vraiment divisées. Et hier soir c’était incroyable de voir des visions aussi radicalement opposées, s’exprimer aussi calmement.
Hier soir on attendait aussi beaucoup les attaques de Donald Trump sur Hunter Biden, le fils du candidat démocrate ?
Oui, c’est d’ailleurs étonnant. Hier après-midi l’équipe de campagne de Trump a organisé en urgence ce qu’ils appellent dans leur jargon une conference call. On s’est tous précipités au téléphone. Ils avaient annoncé que c’était pour parler du débat, mais en fait c’était pour nous détailler de manière précise, avec des dates et des e-mails, toute l’enquête qu’ils ont faite sur Hunter Biden, en Ukraine et en Chine, et ses agissements.
Ils nous ont interdit toute question sur d’autres sujets, en annonçant aussi que l’homme d’affaires qui leur a apporté tous ces éléments serait dans le public du débat, invité par le président des États-Unis. Donc on s’attendait vraiment à ce que Hunter Biden la cible d’attaques violentes de Trump, tellement ils nous avaient orienté là-dessus. Et finalement, c’est resté relativement feutré pendant le débat. C’est très surprenant. Est-ce que Trump, au dernier moment, a préféré éviter le domaine personnel ?
Cette histoire n’est pas terminée, parce que l’équipe de campagne de Trump semble focalisée sur Hunter Biden, et sur lui uniquement. Après c’est peut-être le désespoir, s’ils n’ont plus que ça…
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