Pour la première fois, le tribunal pénal international juge un enfant soldat

Amandine Rebourg avec AFP
Publié le 6 décembre 2016 à 16h15, mis à jour le 6 décembre 2016 à 16h22
Pour la première fois, le tribunal pénal international juge un enfant soldat

JUSTICE - Ce mardi 6 décembre à La Haye s'ouvre un procès hors du commun : celui de Dominic Ongwen, un Ougandais désigné comme étant le premier enfant soldat jugé par le tribunal pénal international. Ce dernier plaide non-coupable des faits qui lui sont reprochés.

L'ancien chef de guerre de la LRA, Dominic Ongwen, plaide non-coupable et pour les observateurs, c'est un terrible dilemme qui se déroule à La Haye, au tribunal pénal international. Ce mardi, s'ouvre le procès de cet Ougandais considéré comme étant le premier ancien enfant soldat jugé par le TPI. Il doit répondre de 70 crimes de guerre et crimes contre l'humanité pour son rôle dans une milice qui a, selon l'ONU, massacré plus de 100 000 personnes et enlevé plus de 60 000 enfants depuis 1987. 

En Ouganda, des milliers de personnes vont regarder en direct les procédures, retransmises dans des salles de classe ou des tentes montées pour l'occasion. Parmi elles, des victimes de la LRA qui attendent "depuis quatorze ans que justice soit faite", a affirmé Sheila Muwanga, vice-présidente de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l'homme). Pour Elise Keppler, de l'ONG Humans Rights Watch, ce procès "est une première significative". 

Ce qui pose question pour les observateurs est la situation même de Dominic Ongwen. Au coeur du procès qui débute ce mardi et se poursuivra en janvier prochain, un dilemme pour les juges : Dominic Ongwen peut-il être légalement responsable de crimes alors qu'il a d'abord été une victime de ces milices ?

"Victime et l'auteur de crimes"

Fils de deux professeurs, il a été enlevé à l'âge de 10 ans, alors qu'il rentrait de l'école. D'enfant kidnappé à enfant soldat puis chef sanguinaire surnommé "La Fourmi Blanche", Ongwen est soupçonné d'avoir commandité de terrifiantes campagnes dans les régions de Lira et Teso, dans le nord de l'Ouganda, au cours desquelles quelque 2000 personnes auraient été massacrées et 3000 autres enlevées. Durant des années, il a été l'un des commandants les plus redoutés de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA) : ce groupe est accusé d'avoir massacré plus de 100 000 personnes et enlevé plus de 60 000 enfants, selon l'ONU, dans une guerre sanglante contre le pouvoir central de Kampala. 

A l'époque de l'enlèvement d'Ongwen, Joseph Kony est à la tête de la milice qui mélange mystique religieuse, techniques de guérilla et brutalité sanguinaire, tout en tentant de fonder un régime basé sur les Dix commandements. Enrolé très jeune, il est fort probable qu'Ongwen ait subi ces rites initiatiques, parmi lesquels l'obligation de mordre ou matraquer des proches, de boire leur sang... Ces atrocités supposément subies par Ongwen seront les arguments de sa défense. Celle-ci met ainsi en avant un potentiel syndrome de stress post-traumatique dû à son passé et "la menace permanente d'une mort imminente" par Joseph Kony. 

Une affaire qui aura des conséquences pour les enfants soldats

Interrogée par l'AFP, Isabelle Guitard, directrice des programmes au sein de l'ONG Child Soldiers International, qui défend les droits des enfants soldats, estime que "son passé n'est pas une défense en elle-même". "Beaucoup de criminels ont été des victimes à un moment donné et l'on ne peut exclure toute responsabilité criminelle sur cette base", dit-elle. "Ce statut d'enfant soldat pourrait être pris en compte au moment de la détermination de la peine, s'il devait être jugé coupable", a-t-elle ajouté. 

Pour Mark Kersten, un spécialiste de la question britannique, Ongwen est décrit comme à la fois "la victime et l'auteur de crimes". "Quand la victime est-elle un responsable et le responsable une victime ? La frontière entre les deux est beaucoup moins claire qu'on a tendance à le supposer", avance-t-il. C'est à cette question que le tribunal pénal international devra répondre et l'affaire devrait faire jurisprudence en raison des conséquences pour la réhabilitation ou le jugement de milliers d'enfants soldats enrolés à travers le monde. 


Amandine Rebourg avec AFP

Tout
TF1 Info