Des républicains ne certifieront pas la victoire de Biden : "Si ce n’est qu’un message politique, il est très important"

Publié le 6 janvier 2021 à 8h30, mis à jour le 6 janvier 2021 à 8h54
Des républicains ne certifieront pas la victoire de Biden : "Si ce n’est qu’un message politique, il est très important"
Source : TASOS KATOPODIS / GETTY IMAGES VIA AFP

INTERVIEW - Alors que le Congrès américain se réunit pour "certifier" la victoire de Joe Biden, une douzaine de sénateurs républicains ont annoncé qu'ils s'y opposeraient. Ont-ils une chance d'y parvenir ou visent-ils un autre objectif ? Guillaume Debré, spécialiste des États-Unis sur TF1, nous explique les enjeux.

En quoi consiste cette "certification" du résultat de l’élection, qui doit avoir lieu mercredi 6 janvier au Capitole ?

C’est un processus totalement formel, qui est inscrit dans le 12ᵉ amendement de la Constitution américaine. Lors d’une session du Congrès, c’est-à-dire la réunion des deux assemblées, la chambre des représentants et le Sénat, on va décompter les votes des Grands électeurs, État par État. Cette session est présidée par le vice-président des États-Unis, qui est là en tant que président du Sénat. Depuis toujours, c’est une certification qui est totalement formelle, elle n’a aucune valeur juridique, mais n’a jamais été sérieusement contestée : c’est la première fois dans l’histoire américaine que ça pose problème. 

La force démocratique d’une République, ce n’est pas tant quand les électeurs élisent un président, que quand ils en changent. La première fois que ça arrive, c’est en 1800, quand le second président américain, John Adams, ne gagne pas sa réélection et que Thomas Jefferson est élu. Le processus de transition démocratique aux États-Unis se fait sans aucun problème depuis le début de la République, hormis l’épisode de guerre civile en 1860, où certains États n’ont pas voulu reconnaître l’élection de Lincoln. Mais c’est la toute première fois que des sénateurs, pour des raisons politiques ou symboliques, refusent de certifier les votes des Grands électeurs - pour certains États seulement, d’après ce qu’ils ont annoncé. Et c’est uniquement une posture politique : en fait, ces sénateurs, notamment Ted Cruz du Texas, veulent montrer que le parti républicain est devenu celui de l’insurrection électorale, et qu’il refuse désormais l’institutionnalisation de la politique fédérale.

Les États-clés seront contestés

Comment va se passer la session de demain, est-ce que ces sénateurs peuvent contester le scrutin à la tribune du Congrès ?

A priori non. Là encore, on est dans un cas de figure inédit. Le déroulé normal consiste à réunir tous les parlementaires, qui vont certifier les résultats de chaque État un par un et dans l’ordre : Alabama, Alaska, Arizona, et ainsi de suite… Et pour certains de ces États, les sénateurs républicains qui l’ont annoncé, vont signaler qu’ils s’opposent à la certification. Il s’agit des États contestés, comme la Géorgie, la Pennsylvanie ou le Wisconsin. Eux vont dire qu'ils ne veulent pas de la certification, mais comme ils ne sont qu’une poignée, ça n’aura pas de conséquence. Comment vont-ils exprimer leur désaccord ? En principe il n’y a ni tribune, ni débat. Peut-être qu’ils demanderont à prendre la parole de manière officielle dans la Chambre, mais ce dont on peut déjà être certain, c’est qu’ils feront des déclarations à la presse en sortant du vote.

L'enjeu : les 70 millions d'électeurs de Trump

Quel résultat attendent-ils de cette posture ?

Ce qu’ils peuvent espérer, c’est de passer un message très fort aux quelque 70 millions d’électeurs de Donald Trump, leur signifier que leur vote de colère a été entendu par des représentants républicains. C’est uniquement de la politique. Ces sénateurs veulent se montrer du côté de l’Amérique en colère. Mais, non seulement cette procédure de contestation du décompte n’a aucune chance d’aboutir, mais en plus elle n’a aucune base juridique : plus de 60 demandes d’annulation ou de recomptage de voix ont été rejetées par les tribunaux américains. Juridiquement, rien ne laisse donc penser que l’élection de Joe Biden n’est pas valide. Certes, si on regarde le décompte, sur les quelque 158 millions de voix exprimées, si Donald Trump avait gagné seulement 32 000 voix de plus, réparties dans 5 États, il aurait pu gagner l’élection présidentielle, même avec beaucoup moins de voix au niveau national. Mais ça c’est le jeu électoral, que permet le système fédéral américain. Ce n’est pas une base pour contester la légitimité démocratique d’un président. 

L'après-Trump commence demain

Si ce n’est qu’un message politique, il est cependant très important. Il signifie que, pour une fraction du parti républicain, il faut continuer à incarner ce que Trump a initié, c’est-à-dire un mouvement insurrectionnel, anti-establishment, qui représente une grande partie de cette Amérique en train de se paupériser. Cette frange du parti républicain a compris qu’il fallait conserver cet ADN politique pour la mandature à venir.

Car ce qu’ils préparent, c’est évidemment l’après-Trump, tout en maintenant en vie le trumpisme. Ils ne sont pas du tout dans une logique de retour au centre. Ils pensent que surfer sur la colère de l’Amérique blanche, paupérisée et déclassée, c’est l’avenir du parti républicain. C’est peut-être vrai d’ailleurs, je ne présume pas qu’ils ont totalement tort, mais c’est ce que cette stratégie implique.

Le vice-président Mike Pence présidera la séance. Est-il dans une position ambigüe ?

Pence pense à 2024, comme beaucoup de républicains. En fait, c’est l’ouverture d’une nouvelle ère : à partir du 20 janvier (date de la prestation de serment de Joe Biden, NDLR), la polarisation politique américaine va encore se radicaliser. À droite, ce courant de sénateurs républicains qui va essayer de cranter le message insurrectionnel et anti-establishment. Et à gauche, l’aile gauche du parti démocrate, qui est en train de monter en puissance, et qui va mettre une pression énorme sur l’administration Biden. Le gouvernement du nouveau président aura à gérer ces deux fronts, très à droite et très à gauche, et ça va forcément être compliqué.

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Frédéric SENNEVILLE

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