SONDAGES - Passé sous les radars des sondeurs jusqu'au dernier moment en 2016, Donald Trump prophétise un come-back similaire cette année. Mathieu Gallard, directeur de recherche à l'IPSOS, nous explique dans quelle mesure ce serait possible, et revient sur le désastre de 2016.
Complètement inattendue, la défaite de Hillary Clinton en 2016 est encore dans tous les esprits. Le retournement le soir même de l'élection a traumatisé le camp démocrate et une partie de l'Amérique pour longtemps. Cet effet de surprise est généralement attribué aux instituts de sondage, accusés d'avoir négligé les classes populaires.
"L'homme blanc sous-diplômé", oublié des sondeurs, aura été le grand déterminant du scrutin de 2016, offrant à Trump les Etats ouvriers du Midwest. En 4 ans, beaucoup de facteurs ont cependant changé : les adversaires ne sont pas les mêmes, Donald Trump est le sortant, et la sociologie de l'électorat a évolué.
Mathieu Gallard nous livre une explication du phénomène de 2016, et nous raconte en quoi les sondages de la campagne en cours sont plus fiables.
"On le voit depuis un an, les sondages n’ont quasiment pas bougé"
Pourquoi les sondeurs ne se tromperaient pas à nouveau en 2020 sur le niveau réel de l'électorat Trump ?
Mathieu Gallard, directeur de recherches à l'Ipsos : Déjà, en 2016 la situation était un peu différente, et si on regarde les sondages à froid, Hillary Clinton était en avance, en moyenne de 3 points dans les derniers sondages publiés avant l’élection. Et finalement, elle a bien gagné avec deux points d’avance au niveau national. Les sondages avaient vu le bon résultat dans 47 des 50 Etats américains. Donc bien sûr c’était un échec, mais si on regarde l’ensemble de la situation, un échec pas si énorme que cela. On avait sans doute mis trop “d’espoir” sur des sondages qui ne lui donnaient pas une avance si importante. Aujourd’hui, la différence est tout simplement que l’avance de Joe Biden est plus forte que celle d’Hillary Clinton à la même période. Que ce soit au niveau national ou dans les Etats-clés. Et le bon sens veut qu’il vaut mieux être en avance de 6-7 points que de 3 points, et que ça vous prémunit beaucoup plus d’une erreur des sondages ou d’une évolution de l’opinion dans les derniers jours de la campagne.
D’autant que cette année, l’opinion publique est stable. On le voit depuis un an, les sondages n’ont quasiment pas bougé, quels que soient les événements de la campagne. Et ce sont quand même des événements énormes : le Covid, l’épidémie et la crise économique. Ils semblent pourtant n’avoir pas eu de prise sur l’opinion, au contraire de 2016. Donc on voit mal ce qui pourrait rebattre les cartes en dix jours.
Hillary Clinton a bien gagné, avec deux points d’avance, au niveau national
Mathieu Gallard, directeur d'études à IPSOS France
On parle beaucoup de la modification des panels de sondage, qui avaient mis de côté des pans de la population en 2016. Ce n’est pas si crucial finalement ?
Si, ça a beaucoup d’importance, mais dans certains États. Avant, les instituts de sondage ne prenaient pas en compte la variable du niveau d’éducation, tout simplement parce qu’elle ne comptait pas énormément dans le choix des électeurs. Si vous aviez un échantillon de l’électorat sur des variables de sexe, d’âge, et même de race (illégal en France, mais prégnant aux Etats-Unis, ndlr), vous pouviez espérer avoir un échantillon représentatif et donc des intentions de vote fiables.
En 2016, plus que par le passé, le niveau d’éducation s’est révélé être un facteur très explicatif du vote. Et il est vrai que les instituts de sondage sur-représentaient les personnes qui avaient un diplôme du supérieur, et sous-représentaient ceux qui avaient un bas niveau de diplôme. Ils ont pris cet aspect en compte désormais, dans leurs redressements, en faisant en sorte d’avoir des échantillons qui sont aussi représentatifs sur cette variable.
On a déjà vu lors des élections de mi-mandat de 2018 que ça avait donné de bons résultats. C’est à surveiller, mais à mon avis c’est un élément qui peut inspirer de la confiance dans les sondages cette année.
Les chiffres trompeurs des "modèles prédictifs"
Est-ce qu’il n’y a pas eu aussi en 2016 un problème de lecture des chiffres, trop nombreux et trop complexes, par les médias ou par le public ?
Pas exactement, c’était quand même déjà le cas depuis plusieurs élections aux Etats-Unis. La grande nouveauté de 2016, de mon point de vue, ça a surtout été les “modèles prédictifs”. Ils agrègent tous les sondages, les combinent à des données démographiques, ou à des résultats électoraux passés, et ils attribuent sur cette base les chances qu’a chaque candidat de remporter l’élection. Certains modèles donnaient par exemple jusqu’à 90-95% de chances à Hillary Clinton de remporter le scrutin.
Ce n’était pas faux en soi, mais ça donnait l’impression que les choses étaient totalement pliées, ce qui n’est pas le cas. Les statistiques font que, même si vous avez 10% de chances qu’un événement survienne, il peut tout à fait arriver. Si on me dit que je monte dans un avion qui a 10% de chances de s’écraser, je ne vais sûrement pas le prendre.
Et effectivement il y avait de la part de certains médias des difficultés à lire ces modèles de 'probabilité de victoire'. Beaucoup de gens nous disaient 'mais vos sondages donnaient 70% de voix à Hillary Clinton !'. Non, jamais, évidemment. D’ailleurs ce sont des modèles faits par d’autres, pas par les sondeurs. Je pense que cette année ils sont davantage compris, et utilisés pour ce qu’ils veulent vraiment dire. C’est à dire qu’il y a un très clair favori, c’est Joe Biden, mais ça ne veut pas dire que Donald Trump n’a absolument aucune chance de l’emporter.
Le mythique "vote honteux" pour Donald Trump
L’autre chose dont on parle beaucoup en France, à cause du précédent de Jean-Marie Le Pen, c’est cette idée d’un vote Trump caché ou honteux. Est-il pertinent de transposer ce modèle ?
S’agissant du vote honteux, aucun élément ne permet de dire que c’est une réalité. Déjà, comme je l’ai déjà dit, les sondages étaient faux dans 3 États seulement, mais bons dans 47. Donc je ne vois pas pour quelle raison l’ensemble des électeurs honteux de Trump seraient massés dans 3 États, mais qu’ailleurs ils diraient la vérité sans problème.
D’autre part il y a une dimension méthodologique. Aux Etats-Unis il y a des sondages réalisés par téléphone, d’autres sur Internet, auprès de panels réunis par les instituts de sondage. Peut-être que vous pouvez avoir des réticences à avouer votre vote à un enquêteur à qui vous répondez par téléphone, mais vous en avez moins à l’admettre en ligne.
C’est un questionnaire auto-administré, et nous on le constate en France. Quand vous faites des enquêtes pour les présidentielles, vous avez des résultats très différents selon que vous les menez par téléphone ou en ligne. Avec un vote pour Marine Le Pen qui est beaucoup plus faible, donc implicitement moins avouable, par téléphone. Alors qu’aux Etats-Unis vous ne relevez quasiment pas de différence de résultats entre les deux méthodologies : donc pas d’électeur qui se cache.
De toutes façons c’est assez logique : aux Etats-Unis, l’électorat est très polarisé. Vous avez une masse d’électeurs républicains qui ne votera jamais républicain et inversement. Mais cet électorat est aussi polarisé géographiquement. Quand vous regardez une carte électorale, vous voyez les Démocrates massés dans les villes, et les Républicains dispersés dans les zones rurales ou suburbaines.
La grande majorité des électeurs républicains vivent dans des milieux, fréquentent des gens, qui votent et pensent comme eux. Ils n’ont pas de raison d’avoir spécialement honte de dire qu’ils votent Trump, étant donné qu'ils évoluent dans un milieu pro-Trump. Sincèrement, ça ne me paraît vraiment pas être une explication très rationnelle. Que ce soit du point de vue de la méthodologie, ou du point de vue de la sociologie électorale américaine.
Les Etats du Sud, nouveaux "swing states" ?
Ce qui a posé problème aux sondeurs en 2016, c’est aussi que c’était la première fois pour Trump ?
Oui, on a souvent tendance à analyser une campagne ou une élection en ayant les précédentes en tête. Or en 2016 on se basait sur les victoires d’Obama de 2008 et 2012. L’analyse politique, à cette époque, c’est que le parti Démocrate était le plus porté par les changements démographiques, avec la montée importance des minorités ethniques, ou des urbains diplômés. Trump qui faisait campagne en s’adressant essentiellement aux catégories populaires, ça ne risquait pas de marcher !
Le risque serait de commettre la même erreur cette année. Du coup, j’ai l’impression qu’en regardant les sondages qui donnent Biden en tête, beaucoup de gens se disent “d’accord, mais ça va être comme la dernière fois…” Mais d’autres électorats pourraient être décisifs cette année. Par exemple, les seniors avaient voté massivement pour Trump en 2016, mais cette année, ils semblent s’en détourner à cause de sa gestion de la crise du Covid. Voilà, il faut surtout faire attention à ne pas regarder une élection avec uniquement la grille de lecture de la précédente en tête.
La participation, l'inconnue qui va arbitrer l'élection
Justement, à quoi peut-on s'attendre dans les Etats ouvriers du Midwest, la fameuse "Rust Belt" ("ceinture de rouille"), qui avaient porté Trump lors de son élection ?
On voit que les choses s’annoncent équilibrées : Biden semble en tête dans les 3 Etats qui avaient fait basculer l’élection, en étant remportés par Trump avec quelques milliers de voix d’avance : la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin. Biden y est nettement en tête cette année.
Après il y a des Etats comme l’Ohio, qui semblent beaucoup plus indécis. C’est un Etat où la sociologie est beaucoup plus centrée sur des blancs avec un faible niveau de diplôme. Il y a moins de villes dynamiques qu’en Pennsylvanie, par exemple. Donc dans l’Ohio, ça risque d’être un peu plus compliqué… C’est une région qui, structurellement, bascule petit à petit chez les Républicains. Mais le contexte national fait que Biden est bien parti pour remporter les Etats qui avaient fait défaut à Hillary Clinton en 2016. Même s’il ne retrouvera peut-être pas les chiffres d’Obama en 2008.
La participation semble devoir jouer un rôle-clé. Cette année, on pronostique de plus en plus une très forte mobilisation...
Il faut bien avoir en tête qu’aux Etats-Unis, la participation n’est pas mesurée comme en France. Quand on vous dit qu’il y a 60% de votants, c’est 60% de l’ensemble des citoyens en âge de voter. Alors qu’en France c’est 80% des électeurs inscrits. Donc 60% de participation aux Etats-Unis, en fait ça correspond à peu près à 70% en France. Ça peut sembler un détail, mais on dit souvent qu’il n’y a qu’un électeur sur deux qui vote, et ce n’est pas vrai.
Cette année, les chiffres du vote anticipé sont particulièrement impressionnants. La question reste de savoir si ce sont des gens qui auraient voté de toute façon le jour de l’élection, mais qui préfèrent voter avant par crainte du Covid. Ou si ça augure vraiment d’une mobilisation très forte des abstentionnistes traditionnels. La participation devrait être supérieure à ce qu’on a d’habitude, mais dans quelle mesure, on ne peut pas le savoir à ce stade.
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