Émeutes au Kazakhstan : "C'est un régime autoritaire avec une réponse autoritaire"

Propos recueillis par Léa COUPAU
Publié le 7 janvier 2022 à 20h53, mis à jour le 10 janvier 2022 à 9h39

Source : Sujet TF1 Info

CHAOS - Le président Kassym-Jomart Tokaïev a donné pour consigne d’ouvrir le feu "sans avertissement" sur les émeutiers. Des soldats russes ont été déployés. Julien Vercueil, vice-président de l'Institut national des langues et civilisations orientales, fait le point sur la situation.

Depuis cinq jours, le Kazakhstan est confronté à un mouvement de contestation sans précédent. Après des premiers signes d'apaisement, les manifestations ont été vivement réprimées par les autorités. Plusieurs "dizaines" de personnes sont mortes, et on compte plus d'un millier de blessés. Ce vendredi, le président, Kassym-Jomart Tokaïev, a assuré  que "l'ordre constitutionnel a été largement rétabli dans toutes les régions". Il a, par ailleurs, indiqué que les opérations de retour à l'ordre public se poursuivraient "jusqu'à la destruction totale des militants".

"Une contestation spontanée"

Rappelez-nous l'origine du mouvement dans ce pays d'Asie centrale.

Julien Vercueil : Le mouvement de contestation est parti d'une région en avant poste des contestations sociales : la ville de Janaozen, dans l'ouest du Kazakhstan. Le facteur régional est important dans un immense territoire comme le Kazakhstan, peu densément peuplé. Là-bas, à Janaozen, les fractures sociales sont importantes, certains groupuscules sont radicalisés et on a pu noter des revendications séparatistes depuis 2010. Les manifestants ont très vite réagi aux envolées des prix de l'énergie. En cause notamment, une multiplication par deux des prix du gaz de pétrole liquéfié (GPL) dans un secteur où l'automobile est reine. 

C'est ensuite que les revendications se sont étendues à Almaty, tout en prenant différentes formes : économiques, sociales, mais aussi politiques. Certaines ont été reprises dans tout le pays qui, aujourd'hui, est en proie à un fort mécontentement. Il faut dire que le Kazakhstan, comme tous les pays d'Europe, a souffert d'une résurgence de l'inflation. Une grande partie de la population, d'origine modeste, en paye tous les jours le prix. Particulièrement, au niveau du pouvoir d'achat.

Y a-t-il un leader dans ces manifestations ?

Les revendications sont très larges : un meilleur pouvoir d'achat, en finir avec la corruption, donner plus de poids à l'opposition face au gouvernement... C'est très difficile de trouver une structure, un leader ou même de lui donner une cause fédératrice bien définie. C'est plutôt une contestation spontanée, un agrégat de mécontentements poussant les gens dans la rue.

Y a-t-il déjà eu des émeutes pareilles par le passé ?

En 2011, dans la même ville de Janaozen, certains employés des compagnies pétrolières de la région ont demandé de meilleures conditions salariales. Là aussi, cela a dégénéré en émeute avec une douzaine de morts, mais ce n'était pas aussi fort qu'aujourd'hui. Quelques années plus tard, en 2017 et 2018, il y a eu une série de manifestations contre l'intention prêtée au pouvoir Kazakhstan de céder de grandes étendues de terres agricoles à la Chine. Le gouvernement a dû faire machine arrière. Mais à chaque fois, les revendications sont liées au quotidien des gens.  La corruption tend aussi à fédérer les mécontentements. Outre les conflits d'intérêts et la grande corruption qui touche les élites du pays, chacun a été confronté dans sa vie à un mauvais traitement, à la corruption d'un policier ou d'un représentant de l'administration.

Comment qualifier la réaction du président Kassym-Jomart Tokaïev ?

C'est un régime autoritaire avec une réponse autoritaire aux manifestations et soulèvements. Le gouvernement n'a pas changé, même après la démission de son président historique Noursoultan Nazarbaïev en 2019. Sur le plan économique, il a fait des concessions assez rapidement, en plafonnant notamment les prix de l'énergie. Il est probable qu'il en fera d'autres. Mais, compte tenu de la situation et de la nature du régime, rien de surprenant qu'il utilise la violence ou qu'il suspecte un pouvoir étranger dessous. Seul fait nouveau : le président Kassym-Jomart Tokaïeva a décidé de couper internet ; ce qui, pour le cas, n'est pas habituel. Son intérêt là est triple. Il coupe ainsi l'information aux journalistes et aux chercheurs étrangers, mais aussi permet d'éviter que les manifestants puissent se coordonner et diffuser largement les images des émeutes, ouvrant la voie à une extension de la contestation.

Face à ce mouvement sans précédent, le président kazakh a demandé le soutien de la Russie. Vladimir Poutine qui, a accepté, peut-il changer la donne ?

C'est l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) qui officiellement a été sollicitée, mais évidemment la Russie en est le membre dominant. Par leur équipement et leur entraînement, les forces russes peuvent effectivement changer les choses. Il faut d'ailleurs noter que 20% du Kazakhstan est russe, soit un cinquième de la population en tout. Vladimir Poutine a toujours fait part de sa volonté de défendre l'intérêt de ses ressortissants. Il ne fait aucun doute qu'il ait décidé d'envoyer son aide pour limiter les émeutes. Mais ce serait un échec pour lui de devoir utiliser la force. Les Russes sont là pour être à la manœuvre, mais ne veulent pas intervenir, ce sont des troupes de dissuasion. L'Europe, elle, a un pouvoir très faible. Elle n'entretient que des relations commerciales avec le pays d'Asie.

Les manifestations peuvent-elles durer ?

Aucune des problématiques qui sont à l'origine profonde des manifestations - précarité, inégalités dans un pays où la concentration des richesses est très forte  et où l'opposition est muselée - n'a pour l'instant été résolue et je ne suis pas sûr que le gouvernement kazakh soit en mesure d'engager de nouvelles réformes qui permettraient, par exemple, un desserrement de la contrainte politique, surtout depuis que la Russie a apporté son soutien. Le feu va donc continuer de couver sous la cendre, avec le risque de nouveaux embrasements.


Propos recueillis par Léa COUPAU

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