Et si une nouvelle Europe était la réponse à la crise des gilets jaunes ?

par Mathilde ROCHE
Publié le 11 décembre 2018 à 18h35, mis à jour le 13 décembre 2018 à 15h48
Et si une nouvelle Europe était la réponse à la crise des gilets jaunes ?

ECLAIRAGE - 120 intellectuels ont cosigné un Manifeste pour transformer l'Union Européenne grâce à un Traité de démocratisation de l'Europe. Guillaume Sacriste, politiste, maître de conférences à l’Université Paris 1-Sorbonne et signataire du manifeste, nous éclaire sur ce projet qui aspire à rétablir une justice fiscale et sociale.

Un collectif de 120 intellectuels et académiciens ont cosigné un Manifeste pour transformer profondément les institutions et les politiques européennes. Avec des mesures concrètes : la proposition d'un Traité de démocratisation, un projet de budget, la création d'une nouvelle assemblée. Ces citoyens venant de 16 pays différents invitent chaque Etat qui le souhaite à adopter et appliquer ce nouveau traité dès à présent. Guillaume Sacriste, politiste, maître de conférences à l’Université Paris 1-Sorbonne et signataire du manifeste, nous éclaire sur ce projet à l'heure où la crise des Gilets jaunes françaises a essaimé en Belgique, au Pays-bas ou encore en Bulgarie.

LCI - De quel constat est né ce Traité et quel est son objectif ?

Guillaume Sacriste - Initialement nous sommes un groupe de juristes, économistes et politistes rassemblés par l’idée que l’Union Européenne est dans une crise inédite. Elle est fondamentalement remise en cause car elle participe depuis plusieurs décennies à l’injustice fiscale - et donc sociale - au sein des Etats membres. Nous avons aussi fait le constat que ce gouvernement européen est relativement informel, peu institutionnalisé et peu visible. L’idée n’est donc pas de dissoudre les instances en place, mais de créer une nouvelle institution qui contrôle le gouvernement européen actuel. Cela prendra la forme d’une assemblée, qui pourra voter des impôts européens et réorienter les politiques européennes vers plus d'égalité sociale.

LCI - Pourquoi cette nouvelle assemblée européenne serait plus apte à mettre les pays d’accord ?

Guillaume Sacriste - La règle de l’unanimité - actuellement en vigueur - bloque toutes les décisions. Il faut l’unanimité entre les 27 états membres pour disposer de règles fiscales communes, c’est impossible. Notre projet prend en compte cette impossibilité et essaye de la contourner par une idée simple : n’importe quel sous-groupe d’états européens participants pourra créer cette assemblée, tant qu’il représente 70% de la population de l'Union, ce qui correspond par exemple à la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Donc si 3, 4 ou 5 états veulent instaurer une fiscalité commune dans leur pays, ils pourront le faire dans ce cadre institutionnel sans avoir à subir un véto. Nous espérons que cela engendrera une dynamique vertueuse et que les autres états s’agrégeront progressivement. 

LCI - Plutôt que relancer l’Europe, cela ne risque-t-il pas de la diviser ?

Guillaume Sacriste - Au contraire, le but est de montrer toutes les vertus de l’Europe et l’étendue de ses possibilités, qui ne sont pas exploitées jusqu’à présent à cause de cette règle de l’unanimité. Cela va permettre de se rendre compte que l’Europe a tout à fait les outils pour répondre à l’injustice sociale à l’échelle européenne et nationale. Une politique qui réussit entre quelques pays pourra montrer le bon exemple.

LCI - Pour cela vous proposez de mettre en place 4 nouveaux impôts. Dans le contexte actuel des gilets jaunes, comment faire accepter de taxes supplémentaires ?

Guillaume Sacriste - La fiscalité est le principal instrument d’un pouvoir politique pour établir une égalité économique entre les différents individus. Actuellement, les impôts sont très inégalitaires, c’est donc normal qu’il y ait une défiance vis-à-vis du système d’imposition. Or là, l’idée est de taxer les plus riches, les plus hauts revenus et patrimoines et seulement les plus hauts, pour mieux répartir et redistribuer les richesses dans la société européenne et nationale. Les impôts que nous envisageons toucheraient les particuliers les plus favorisés, mais aussi les bénéfices des sociétés et les émissions de carbone des entreprises les plus polluantes. Aucun effort ne sera demandé aux classes moyennes et défavorisées, au contraire, les recettes perçues pourront être utilisées pour alléger les impôts des populations les plus pauvres. 

Actuellement, les impôts sont très inégalitaires, c’est donc normal qu’il y ait une défiance vis à vis du système d’imposition.
Guillaume Sacriste

Ce projet a un an et demi, nous n’avions donc pas envisagé cette crise des Gilets jaunes. Mais nous nous appuyons sur les analyses de l’économiste Thomas Piketty sur la montée des inégalités et cette crise des Gilets jaunes vient acter politiquement ce problème. Notre projet, en sortant des règles européennes trop contraignantes, peut répondre aux revendications des Gilets jaunes. Ils réclament davantage de justice fiscale et, visiblement, la réponse nationale n’est pas pertinente. Le traité de démocratisation permet en revanche très largement d’y répondre. 

LCI - Des impôts sur les bénéfices des sociétés signifie-t-il taxer les petites entreprises, et donc les classes moyennes ?

Guillaume Sacriste - Oui, mais proportionnellement à leurs bénéfices et à l’échelle européenne. Le plus gros scandale aujourd’hui est que les entreprises qui font le plus de bénéfices dans toute l’Europe ne payent pas ou très peu d'impôts. En imposant un taux additionnel identique dans tous les Etats, on peut réussir à contrer le contournement fiscal des grosses entreprises, comme les Gafa, et autres Starbucks. Notre projet prévoit que ces entreprises payeront partout où elles font leurs ventes et non plus uniquement où leur siège social est établi.

LCI - Comment réussir à faire signer le traité par l’exécutif français, alors que ses propositions remettent en cause les mesures du quinquennat ?

Guillaume Sacriste - Cette situation politique n’est pas pérenne. Notre objectif, ce sont les élections européennes. Nous ne présenterons pas de liste politique, mais nous espérons que notre projet sera porté par un élan populaire, pour atteindre les partis politiques existants. En ayant le plus de signatures possible, nous pourrons imposer nos idées dans les débats de la campagne des européennes. En s’appuyant sur les forces progressistes, de gauche et des Verts, partout en Europe, nous pourrons alors modifier les rapports de force au sein des exécutifs nationaux et faire avancer cette alternative politique. C’est certes une initiative française mais nous avons rencontré de véritables échos chez nos voisins allemands, mais aussi chez les Portugais, Espagnols, Grecs, les plus touchés par la crise. Parmi les 120 signataires, il y a une cinquantaine de Français mais la majorité sont d’une autre nationalité, c’est un appel assez équilibré, qui invite chacun à s’investir dans le projet. Le traité et le budget proposé ne sont pas immuables, il faut que les citoyens s’en emparent.


Mathilde ROCHE

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