SE RELEVER - Pour Patrick Coulombel, il ne s'agit pas de "reconstruire" mais de "réparer" Beyrouth après la double explosion qui a soufflé le port et ses environs. Une étape qui sera dure, coûteuse et très longue, selon le co-fondateur d'Architectes de l'urgence.
Après la sidération, l'heure est au grand nettoyage. À Beyrouth ce jeudi, on balaie les amas de verre dans les habitations, on ramasse les débris à terre et on se munit de gants pour déblayer les rues. Dans un grand élan de solidarité, la capitale libanaise qui a été touchée par deux explosions ce mardi 4 août se mobilise pour tenter de se reconstruire. Ou plutôt pour "réparer" ce qui reste encore debout, selon le terme utilisé par Patrick Coulombel, co-fondateur de la fondation Architectes de l'urgence. Fort de son expérience, il y a près de 20 ans à Toulouse après l'accident d'AZF, il a expliqué sur le plateau de LCI quelles sont désormais les difficultés et priorités.
Réparer les hôpitaux est une "urgence"
LCI : Les images qui nous viennent du Liban montrent des dégâts considérables. Par où entamer cette reconstruction?
Patrick Coulombel : A priori, aujourd'hui, l'urgence c'est le médical. Il va surtout falloir une main d'œuvre qui puisse mettre en place le nécessaire afin de réparer les hôpitaux. Une question excessivement pointue, car dans ces établissements, on doit faire face à plusieurs problématiques, comme les systèmes de ventilation, ou de traitement de l'air, de l'étanchéité des salles. Ça ce sont de vrais sujets très compliqués à régler, et qui techniquement sont assez pointus. Il faudra traiter au cas par cas.
Le médical sera donc la priorité. Suivi de tout ce qui est écoles et bâtiments administratifs, qui sont eux aussi importants, pour que les choses puissent redémarrer. Et derrière, juste après, il va falloir dérouler toute la problématique qui est celle du logement. Il faudra penser à la reconstruction, ou plutôt à la réparation, car ce terme est plus approprié. Cette dernière étape sera relativement longue et coûteuse. Quand on voit le montant de l'enveloppe, on se dit que ça risque d'être compliqué. [Les dégâts sont estimés à plus de trois milliards de dollars, soit 2,53 milliards d'euros, selon le gouverneur de Beyrouth ndlr.]
LCI : Pourquoi parler de réparation et non de reconstruction?
Patrick Coulombel : Il faut bien distinguer les deux choses. Effectivement, là où c'est complètement rasé, notamment aux alentours du port, il y a un enjeu d'urbanisme, un enjeu politique. Il faudra voir comment on veut changer la ville, comment on veut intégrer ce quartier, si on veut laisser le port au même endroit ou si on l'enlève,.. Donc là il y a bien une question de reconstruction. Mais pour le reste, il s'adit d'une énorme réparation. Ou ce qu'on appelle dans le milieu du retrofitting [ou réaménagement ndlr.]. C'est-à-dire qu'on va prendre des bâtiments et voir ce qu'il faut changer, ce qui a été détruit. Ici, des menuiseries extérieurs, des plafonds, des cloisons, parfois des toitures ou des balcons. On parle alors d'opérations d'ensemble, qui sont extrêmement compliquées à mener et qui peuvent parfois se heurter aux problèmes classiques de la co-propriété. Sur AZF, on avait presque un "avantage", étant donné qu'un tiers du site était clairement identifié comme appartenant à Total. Ce qui a permis de trouver des fonds et injecter de l'argent dans la reconstruction.
Après AZF, des gens sont restés sans fenêtre pendant plus d'un an...
Patrick Coulombel, co-fondateur d'Architectes de l'urgence
LCI : Fort de votre expérience lors de la réparation suite à l'accident d'AZF, combien de temps pensez-vous que les travaux vont durer?
Patrick Coulombel : Là, on débute à peine le travail de sécurisation des lieux. Les Libanais ont déployé des équipes d'architectes, d'ingénieurs sur le terrain afin de réaliser les expertises et les évaluations nécessaires des bâtiments touchés. Après, il faudra mettre en place les moyens techniques pour faire ces réparations et remettre en état. Ce sera bien plus long et plus compliqué. La première phase permettra uniquement de chiffrer, de voir les moyens dont on a besoin et d'essayer de les déployer.
Pour prendre le parallèle, après AZF, des gens sont restés sans fenêtre pendant plus d'un an. Là il va y avoir le même problème, donc je pense que ça va encore durer plus d'un an minimum. Pour la reconstruction globale, à Toulouse, ça avait bien mis une bonne dizaine d'années ...
LCI : Avec 300.000 personnes qui n'ont plus de logement, il faut trouver une solution urgente. Comment la France peut-elle aider ?
Patrick Coulombel : De notre côté, l'association a proposé de mettre à disposition du matériel et du personnel. On a un certain nombre de matériaux, notamment pour faire ces réparations, qui sont disponibles, avec pas mal de stocks. Ça c'est dans l'immédiat. Cependant, la reconstruction à proprement parler c'est à eux-mêmes de la faire. Ce ne sera pas le rôle des ONG de reconstruire mais à la société civile. Car il ne faut pas croire qu'on est dans un pays du tiers-monde ou sous-développé. Le Liban est un pays avec une élite, une vraie culture. Ils ne partent pas de zéro.
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