Face à la Grèce, l'Allemagne est-elle tout simplement ingrate ?

Publié le 7 juillet 2015 à 15h47
Face à la Grèce, l'Allemagne est-elle tout simplement ingrate ?

EUROPE – Alors que l'Union européenne, emmenée par Berlin, refuse d'accorder à la Grèce une remise sur la dette colossale qui mine son économie, de plus en plus de voix s'élèvent pour rappeler à l’Allemagne que jadis, la situation était inversée....

"Si l'Allemagne se montre intransigeante face à la Grèce, c'est parce qu'elle en a marre de payer pour les autres". Telle est la petite musique qui se fait entendre depuis le début de la crise de la dette grecque, outre-Rhin mais aussi en France, dans la bouche de nombreux observateurs. Donnant l'image d'une Allemagne vertueuse, qui a su faire les sacrifices nécessaires à l'assainissement de son économie et qui appliquerait simplement aux autres l'exigence de rigueur qu'elle s'applique à elle-même. Ce mardi encore, le tabloïd allemand Bild demande à Angela Merkel d'être "une chancelière de fer", en l'affublant sur sa une d'un casque à pointe. Mais au fur et à mesure que le face-à-face entre Athènes et l'Union européenne se durcit, un autre air monte, plus mezza voce : en fait d'intransigeance, Berlin ferait surtout preuve d'ingratitude, et d'amnésie.

Cette thèse a encore été développée lundi par Thomas Piketty, l'économiste français devenu célèbre dans le monde entier depuis la parution de son ouvrage Le Capital au XXIe siècle. Dans le quotidien allemand Die Zeit (dont Slate donne une traduction française des arguments clefs) il pointe l'"ignorance choquante de l'Histoire" dont font preuve selon lui "les conservateurs, en particulier en Allemagne", au risque de "détruire l'Europe". Et de leur rappeler : "L'Allemagne est vraiment le meilleur exemple d'un pays qui, au cours de l'Histoire, n'a jamais remboursé sa dette extérieure, ni après la première, ni après la Seconde guerre mondiale". L'Europe, a-t-il encore martelé ce mardi matin sur France Info , s'est donc construite dans les années 1950 sur l'effacement des dettes "du passé", "notamment la dette allemande".

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"Devoir vis-à-vis de l'Histoire"

Une analyse qui fait référence à l'Accord de Londres, signé le 27 février 1953 afin d'apporter une solution au problème des dettes... allemandes. Berlin doit alors rembourser des prêts accordés pour sa reconstruction après la dernière guerre, mais subit également toujours le poids des réparations prévues par le Traité de Versailles de 1919 (le fameux "diktat" dénoncé par Hitler). Problème : à bout de souffle, la République fédérale d'Allemagne (RFA) ne peut pas honorer ses engagements. Après deux ans de négociations, ses créanciers acceptent néanmoins de réduire la facture de moitié. Ouvrant la voie au redressement du pays, qui aboutira au fameux "miracle économique" allemand. Et parmi ces créanciers, en majorité européens, figurent la France mais aussi... la Grèce.

Soixante-deux ans plus tard, la situation s'est donc inversée. Et s'il faut se garder de toute comparaison historique hasardeuse, plusieurs voix, outre celle de Thomas Piketty, se sont déjà élevées pour rappeler à l'Allemagne cette Histoire. Ainsi que celle des 7 milliards de dollars qu'elle avait été condamnée en 1946 à verser à Athènes, en réparation de l'occupation du pays de 1941 à 1944. Une note qui, estimait en 2012 le député européen Daniel Cohn-Bendit, vaudrait aujourd'hui l'équivalent de 80 milliards d'euros. Et même 168 milliards (soit plus de la moitié de la dette publique grecque actuelle, qui se monte à 320 milliards), affirmait de son côté Jean-Luc Mélenchon en janvier, en réclamant que l'Allemagne tienne compte du passé dans son attitude.

Après son élection, Alexis Tsipras avait d'ailleurs demandé la réparation de cette dernière dette – qu'il évaluait lui à 162 milliards – lors de son discours d'investiture. Et ce, par "devoir vis-à-vis de l'Histoire". Ce à quoi Berlin avait rétorqué que le problème était soldé, la Grèce ayant accepté, dans les années 1990, de tirer un trait sur ce remboursement. Aujourd'hui, Athènes demande un renvoi d'ascenseur. Sans aller jusqu'à brandir l'argument historique, une autre voix forte a plaidé récemment pour la solution d'un effacement partiel de sa dette : l'ancien directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn, qui a intitulé son analyse : " Apprendre de ses erreurs ".

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La rédaction de TF1info

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