PORTRAIT - L’ancienne ingénieure cheffe de produit chez Facebook doit être auditionnée ce mardi 5 octobre par la commission au Commerce du Sénat américain, après avoir accusé le réseau social de privilégier "le profit plutôt que la sûreté" de ses utilisateurs.
Elle a révélé pour la première fois son visage dimanche 3 octobre, dans un entretien diffusé par la chaîne CBS. Jusqu’alors inconnue, la lanceuse d’alerte Frances Haugen était pourtant à l’origine d’un scandale d'ampleur, une fuite de documents internes de Facebook qui a provoqué une onde de choc dans les rangs du géant américain des réseaux sociaux. D'autant que le groupe avait déjà été fragilisé par l'affaire Cambridge Analytica en 2018, après le siphonnage des données personnelles de 87 millions de profils.
La data scientist qui a accusé le groupe de choisir "le profit plutôt que la sûreté" sur la chaîne de télévision sera auditionnée ce mardi 5 octobre par la commission au Commerce du Sénat américain pour dénoncer les dérives de l'entreprise, mais aussi appeler à davantage d’encadrement et de régulation de la liberté d’expression en ligne. Un rendez-vous crucial, au lendemain d’un blocage de six heures qui a aussi affaibli le groupe, paralysant toutes ses plateformes pendant plus de six heures.
Des centaines de documents confidentiels exfiltrés
Cette ancienne ingénieure cheffe de produit au sein de Facebook avait claqué la porte de l'entreprise aux quelques 2,8 milliards d’utilisateurs en mai dernier, après avoir soigneusement compilé des centaines de documents internes qu'elle a emportés avec elle. Elle avait un objectif en tête : "Faire évoluer le géant des réseaux sociaux, et non attiser la colère à son égard", rapporte le Wall Street Journal. Confiés au quotidien américain, ces dossiers ont été étudiés dans une série d’articles publiés à la mi-septembre, qui révèlent que Facebook menait depuis trois ans des études pour analyser les effets de son réseau social Instagram sur les adolescents, sans pour autant modifier sa politique de modération.
Parmi les conclusions de ces documents confidentiels en particulier, la dégradation de la santé mentale des jeunes utilisateurs : la plateforme est particulièrement "toxique" pour les adolescentes, rapporte le journal. "Nous aggravons les complexes d'apparence d'une jeune fille sur trois", résume très explicitement l’une des présentations ayant fuité. Depuis la révélation du constat sans appel de ces "Facebook Files", le groupe a annoncé mettre en pause le développement d’Instagram Kids, une version de son application pour les moins de 13 ans, sans pour autant lui mettre un coup d’arrêt.
Frances Haugen a également partagé des documents révélant que les algorithmes mis en place par le groupe favorise les élites, encourage les conflits et permet aux cartels de drogue et trafiquants d’êtres humains d’utiliser ouvertement ses services, rapporte le quotidien. "Les études internes prouvent que les choix de Facebook influent sur la société, favorisent la haine, le racisme et le complotisme, a-t-elle déclaré dans son entretien pour CBS. Plus personne ne doit douter de la réalité de ce système."
Spécialiste des réseaux sociaux
Frances Haugen, 37 ans, avait rejoint à sa demande le département "intégrité civique" de l’entreprise en 2019, pour lutter contre la désinformation sur le réseau social peu avant le scrutin présidentiel de novembre 2020. Selon le Time, cette diplômée d’Harvard s'était elle-même éloignée d'un ami proche, convaincu par une théorie conspirationniste diffusée sur internet. Facebook avait alors modifié ses algorithmes pour endiguer le partage de fausses informations, mais l’initiative aurait été de courte durée, selon la lanceuse d’alerte.
"Dès que l'élection a été terminée", les anciennes configurations ont été réactivées, "pour donner la priorité à la croissance plutôt qu'à la sûreté", a soutenu l’ingénieure dans son entretien sur CBS. Cette modification de la politique de régulation aurait constitué un terreau fertile facilitant l’organisation de l’assaut du Capitole à Washington le 6 janvier dernier, selon la lanceuse d’alerte.
Passée par le site de rencontres Hinge, mais aussi Google, Yelp (évaluation de commerces par les internautes) ou Pinterest, Frances Haugen avait un œil particulièrement averti sur le fonctionnement de ces sites. "J'ai vu pas mal de réseaux sociaux, et la situation chez Facebook était sensiblement pire que ce tout ce que j'avais pu voir avant", a-t-elle déploré. Et d'insister : "Il y avait des conflits d'intérêt entre ce qui était bon pour le public, et ce qui était bon pour Facebook", qui, "une occasion après l'autre, choisissait de privilégier ses intérêts, c'est-à-dire faire plus d'argent".
Se défendant de s'en prendre personnellement à Mark Zuckerberg, co-fondateur et PDG du groupe, Frances Haugen a assuré que "personne chez Facebook n'est malveillant", "mais les intérêts ne sont pas alignés". "Ensemble, nous pouvons créer des médias sociaux qui font ressortir le meilleur de nous-mêmes, a-t-elle publié sur Twitter peu de temps après la diffusion de l’émission de CBS. Nous résolvons les problèmes ensemble - nous ne les résolvons pas seuls." Selon le Wall Street Journal, l'ancienne ingénieure souhaite également coopérer avec les procureurs généraux des États et les régulateurs européens.
I believe that we can do better. — Frances Haugen (@FrancesHaugen) October 4, 2021
Frances Haugen a également demandé la protection réservée aux lanceurs d'alerte auprès de la "Securities and Exchange Commission", l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers, rapporte le Wall Street Journal. "Chercher une explication technologique à la polarisation politique aux Etats-Unis est beaucoup trop facile", s’est défendu en réponse Nick Clegg, le vice-président de Facebook chargé des affaires publiques, sur CNN dimanche.
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