Fuites sur les gazoducs Nord Stream : la mer Baltique, une zone sous haute tension

Publié le 29 septembre 2022 à 18h07, mis à jour le 29 septembre 2022 à 18h15

Source : Le CLUB

La Baltique est au cœur de toutes les attentions depuis le début de la semaine et les fuites détectées sur les gazoducs Nord Stream.
Une zone stratégique, truffée des câbles, armes et autres produits chimiques.

En Baltique, tout mouvement est scruté de près. Cette mer intérieure de 364.800 km², confinée et peu profonde, est nichée dans le nord de l'Europe entre les pays scandinaves (Danemark, Suède et Finlande), les pays Baltes (Lettonie et Lituanie), les États européens (Allemagne et Pologne) et la Russie, qui bénéficie d'un accès aux eaux de la Baltique également via son enclave de Kaliningrad. Une mer hautement stratégique et théâtre des actes de sabotage présumés contre les gazoducs russes Nord Stream cette semaine. 

Dans cet espace "confiné et peu profond, chaque mouvement ou presque est traqué et observé par les États du littoral et leurs navires", détaille pour l'AFP Julian Pawlak, de l'université Helmut Schmidt de Hambourg. "Navires et sous-marins sont capables d'y déployer des plongeurs de combat en cachette" et autres véhicules sous-marins guidés à distance, laissant penser que les quatre fuites détectées dans la mer Baltique relèvent bien d'un acte intentionnel. 

Une mer tapissée de câbles...

Un tel sabotage dans cette petite mer intérieure s'avère une opération hautement sensible. Tout d'abord, parce que la Baltique est un important point de passage : elle voit passer environ 8% du commerce maritime mondial. D'autre part, car le fond de la mer se révèle tapissé de câbles et autres tuyaux pétrogaziers tous plus stratégiques les uns que les autres. Outre les Nord Stream, le "Baltic pipeline" a été inauguré, mardi. Un tuyau permettant de faire transiter du gaz entre la Norvège et l'Europe via la Baltique et qui a pour but de restreindre la dépendance européenne au gaz russe. Le sabotage présumé des gazoducs Nord Stream laisse ainsi craindre pour la sécurité de ces installations dans le futur. 

Mais surtout, cette mer s'impose comme un important point de passage pour les câbles sous-marins permettant d'assurer les communications mondiales. Plus d'une dizaine de ces artères vitales - sur les 420 qui tapissent le fond des océans et assurent près de 99% du trafic total sur Internet - transitent via la Baltique. Des câbles sous-marins qui permettent, selon les estimations, de réaliser plus de 10.000 milliards de dollars de transactions financières quotidiennes, soit quatre fois le PIB annuel de la France. 

Des "autoroutes des mers" qui semblent particulièrement intéresser la Russie. Ces dernières années, un bateau nommé "Yantar" - officiellement un navire de "recherche océanique" mais suspecté de se livrer à des activités d'espionnage - a été observé, notamment au large de l'Irlande, en position stationnaire au-dessus de câbles internet. Des données d'autant plus inquiétantes que, dans la Baltique, ces artères se trouvent à une profondeur similaire à celle des gazoducs et sont ainsi particulièrement fragiles face à des risques de sabotage aux conséquences désastreuses.

... Et au coeur des tensions ente l'Otan et la Russie

La Baltique est également un enjeu stratégique militaire et les tensions autour de cette mer intérieure se sont accrues depuis le début de l'offensive russe en Ukraine et le lancement du processus d'adhésion à l'Otan de la Finlande et la Suède, qui bénéficient d'un accès direct à cette mer. Un espace fortement militarisé et qui fait régulièrement l'objet d'exercices militaire réguliers menés par l'Alliance atlantique. L'Otan y a aussi mis en place la mission Baltic Air Policing, qui vise à protéger l’espace aérien des pays baltes, et, surtout, ses bataillons armés, lesquels ont été renforcés depuis la guerre en Ukraine.

La Russie n'est pas en reste dans le secteur en opérant, chaque 31 juillet, sur les rives de la Baltique, un important défilé militaire en forme de démonstration de force. La Royal Navy britannique s'est d'ailleurs livrée, du 16 au 19 juillet dernier, à un exercice consistant à suivre deux sous-marins russes se rendant à cette parade en longeant les côtes norvégiennes. Une manœuvre qui symbolise le jeu du chat et de la souris auquel se livrent depuis des années la Russie et l'Otan dans cet espace restreint.

Il faut dire que pour Moscou, la mer représente un enjeu de premier plan puisqu'elle constitue un accès toujours libre vers la mer du Nord, qui ouvre la voie vers l'Atlantique. D'où sa forte présente militaire dans la zone, notamment via l'enclave de Kaliningrad.

Inquiétude sur l'état environnemental de la Baltique

Au-delà des enjeux stratégiques, la mer Baltique est également un site particulièrement sensible concernant l'environnement. En raison de sa position très fermée, elle est fortement polluée par les activités agricoles et les rejets industriels. Mais la Baltique a aussi été une véritable "poubelle marine" au sortir de la Seconde Guerre mondiale. "L'état environnemental de la mer est très inquiétant, c'est une mer extrêmement polluée et qui va très mal", détaille Céline Bayou, spécialiste Énergie Russie/UE à l'Inalco. "Elle est tapissée d'armes diverses et variées qui ont été immergées après 1945 par différents États, et pas seulement par l'URSS. Toue le monde y est allé gaiement et nombreux sont ceux qui ont immergé dans l'eau les armes dont ils ne voulaient plus". 

Lorsque les Nord Stream ont été posés, il a d'ailleurs fallu mener une évaluation pour éviter les zones dangereuses. Autant de dangers tapissés au fond d'une mer déjà particulièrement chargée. Plus inquiétant : des fûts d'armes chimiques ont également été immergés sous la mer. "Ces fûts sont un vrai problème, car l'érosion fait son travail et ils commencent à fuiter (...). Des études montrent d'ailleurs que les pêcheurs de l'île (danoise) de Bornholm - au large de laquelle une fosse regroupant des fûts chimiques est présente - sont de plus en plus touchés par les cancers", détaille Céline Bayou qui estime que cet "environnement extrêmement fragile" et qui "n'est pas tapissé que de poissons" devrait être "protégé plutôt que d'en faire un théâtre d'affrontement". Et ce, pour la sécurité de tous. 


Annick BERGER

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