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Centrale de Zaporijia : faut-il réellement craindre un "nouveau Tchernobyl" ?

Publié le 6 juillet 2023 à 21h37

Source : TF1 Info

La centrale de Zaporijia se trouve à nouveau au cœur de toutes les craintes.
Nouveau Tchernobyl, alerte d'un nuage radioactif ou risque d'explosion... Chacun y va de son scénario catastrophe.
Nous avons voulu démêler le vrai du faux.

Elle est la centrale nucléaire la plus puissante d'Europe. Et se situe dans la zone la plus dangereuse du continent. L'inquiétude autour de l'installation nucléaire de Zaporijia a monté d'un cran ce mardi 4 juillet. La Russie et l'Ukraine se sont mutuellement accusées de planifier des sabotages et des frappes sur l'installation, faisant craindre un risque de catastrophe nucléaire. À l'heure où les attaques fusent et les bombardements continuent, qu'en est-il vraiment de la réalité du risque ? Nous avons mené des vérifications. 

Une comparaison trompeuse

Avec l'alerte des autorités de Kiev et Moscou sur une future attaque ciblée, de nombreux internautes prédisent un scénario similaire à celui de Tchernobyl. "Alerte à prendre très au sérieux pour ne pas revivre un Tchernobyl bis", écrit par exemple l'un d'entre eux, 37 ans après le drame, quand une autre s'inquiète d'un scénario encore plus catastrophique. " Vu la taille de la centrale de Zaporijia, Tchernobyl à côté, c'était peanuts", écrit-elle. Une éventualité que la totalité des experts que nous avons interrogés écarte.

 

D'une part, car il ne s'agit pas des mêmes technologies. Les six réacteurs VVER de conception russe sont complètement différents de ceux que l'on trouvait du temps de Tchernobyl, qui étaient de type RBMK. "À l'époque, le cœur avait littéralement explosé", note Karine Herviou, directrice générale adjointe de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), auprès de TF1info. "Il n'y avait pas d'enceinte de confinement et les rejets ont été directement dispersés dans l'environnement". 

 

Au-delà de leur conception, les six unités qui produisaient environ un cinquième de l'électricité ukrainienne avant la guerre sont à l'arrêt depuis septembre. "Or, plus le temps passe, plus la chaleur diminue", comme le souligne Lova Rivel, chercheuse spécialiste de la dissuasion nucléaire. Et de prendre l'exemple d'une plaque de cuisson, dont le danger s'atténue à mesure que le temps passe. "Avec une puissance affaiblie, contrôler l'emballement est plus simple. Au contraire, à Tchernobyl, le réacteur était en pleine utilisation", note la chercheuse associée à la Fondation pour la recherche stratégique.

Pourtant, les autorités ukrainiennes de la ville ont indiqué se préparer au "pire scenario". Alors quels sont-ils ? 

Impossibilité de refroidir la centrale

Pour rappel, une centrale a besoin "d'eau froide et de pompes pour refroidir les éléments combustibles", comme le résume avec pédagogie Karine Herviou. Concernant le problème d'eau, l'installation est fragilisée depuis début juin et l'attaque du barrage de Kakhovka, qui a provoqué une diminution des niveaux du réservoir et des piscines d'entreposage. À l'heure actuelle, un bassin de rétention permet toutefois de combler ce manque. Quant à la problématique de l'électricité, jusque-là, les pompes étaient alimentées par quatre lignes électriques. Au fil des frappes, celles-ci ont été régulièrement endommagées, si bien qu'actuellement, une seule fonctionne. 

Le site dispose cependant de 20 groupes électrogènes de secours suffisamment remplis pour tenir une dizaine de jours avant qu'un ravitaillement ne soit nécessaire. Quant aux pompes à eau qui alimentent le système, si elles venaient à être sabotées, alors les autorités "feraient face à un réel enjeu", d'après Ludovic Dupin, directeur de l'information de la Société française d'énergie nucléaire (Sfen). À savoir, "celui de mettre en place au plus vite un système refroidissement". Finalement, les experts s'accordent à dire que dans le scénario d'un sabotage, le danger sur les installations n'existe que dans le cas d'un accès rendu impossible pendant plusieurs jours. 

On est dans une zone bunkerisée
Ludovic Dupin, directeur de l'information de la Sfen

Impact accidentel

Reste que cette installation se trouve en pleine zone de guerre. Ceci dit, face à d'éventuels tirs d'artillerie, les six réacteurs de conception soviétique sont protégés par de larges murs de béton armé. "On est dans une zone bunkerisée", commente Ludovic Dupin, c'est pourquoi "les spécialistes nucléaires de la Sfen sont confiants sur la capacité du dôme de béton à encaisser un gros choc, telle qu'une mine sur le toit, par exemple". Les réacteurs possèdent en outre des "dispositifs de sécurité" installés après l'accident de mars 2011 à Fukushima.

Attaque venue du ciel

"Les réacteurs sont faits et pensés pour maintenir un crash d'avion", confirme Lova Rivel. Est-il cependant possible de l’endommager ? "Oui, l'armement conventionnel a cette capacité", répond-elle. "Mais là, on passe à une autre logique militaire." Ce que confirme Ludovic Dupin. "Les réacteurs nucléaires sont très résistants, mais pas dimensionnés pour être dans une zone de guerre. Si une armée veut raser la centrale, elle peut." 

Erreur humaine

Reste enfin un dernier risque, que Karine Herviou appelle à ne pas minimiser : le facteur humain. "Nous avons peu d'informations sur les opérateurs de la centrale : combien sont-ils ? Quels matériels possèdent-ils ? La seule certitude, c'est qu'ils sont soumis à une pression énorme." Même crainte du côté de la Sfen, dont le directeur d'information rappelle que dans de telles conditions – et malgré la "très grandes résiliences des opérateurs", le risque d'erreurs, d'oublis, "est démultiplié".  

Des risques limités

Certains scénarios font donc bien courir le risque d'une catastrophe nucléaire. Que se passerait-il alors ?

 

Une explosion à l'image de Tchernobyl se révèle tout simplement "impossible du fait de la nature même du réacteur", rappelle la directrice de l'IRSN. Ce que corrobore Ludovic Dupin : "Un réacteur nucléaire n'explose pas par nature. À Tchernobyl, la présence d'un produit inflammable a provoqué l'explosion, pas l'uranium en tant que tel." Quand bien même une armée arriverait à détruire le mur de béton et toucher le cœur du réacteur, "il n'y aurait pas d'emballement nucléaire possible". Dans un tel scénario catastrophe, une fissure du dôme peut toutefois être envisagée. "Dans ce seul cas, alors nous pourrions observer des dégâts radioactifs, équivalent à ceux d'une bombe sale", nous précise Lova Rivel. 

Finalement, c'est plutôt la théorie de la fusion qui prime. "Une défaillance prolongée du refroidissement" à cause d'une coupure électrique ou d'un manque d'eau "finirait par conduire à un accident de fusion et à des rejets radioactifs dans l'environnement", explique ainsi la cheffe adjointe de l'IRSN. 

Dans tous les cas, les conséquences seraient incomparables à celle de Tchernobyl, et bien inférieures à une explosion. Si bien que "la prise de comprimés d'iode" contre les effets de la radioactivité "ne serait même plus utile". Seuls des rejets d'autres matières "qui vont se déposer sur les sols et contaminer les territoires" peuvent être envisagées. Difficile cependant d'évaluer précisément le périmètre éventuellement touché. Car tout dépendra du type de catastrophe et des conditions météorologiques, dont la vitesse et la direction du vent.

REPORTAGE - À Zaporijia, des habitants sur le qui-viveSource : JT 20h Semaine

En résumé, la réalité du danger nucléaire est largement atténuée. D'une part, par la robustesse de cette centrale, plus moderne que celle de Tchernobyl, et sur laquelle des "lignes de défenses ont été ajoutées au fil des années" pour reprendre l'image de Karine Herviou. De l'autre, par les nombreux dispositifs mis en place par l'Agence internationale de l'énergie atomique

et les différents acteurs, largement conscients des risques autour de la centrale. "L'installation n'était pas conçue pour faire face au risque de guerre, mais elle démontre sa résilience depuis plusieurs mois maintenant", résume Karine Herviou. Pour preuve, à l'heure actuelle, aucune émanation radioactive n'a été détectée.

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Felicia SIDERIS

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