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Guerre en Ukraine : les sanctions économiques ont-elles mis la Russie à genoux ?

Publié le 11 juillet 2022 à 18h30
JT Perso

Source : JT 20h WE

En réponse à l'invasion russe de l'Ukraine, la France et l'UE ont multiplié les sanctions économiques contre Moscou.
Alors que le conflit se poursuit et que le Kremlin refuse de reculer, l'efficacité de ces mesures interroge.
Pour tenter de comprendre leur impact, TF1info s'est entretenu avec un spécialiste de l'économie russe.

Passé un moment de sidération, les pays de l'UE ont tenté d'apporter une réponse collective à l'invasion russe en Ukraine. Si une mobilisation militaire a été rapidement écartée, la France et ses alliés européens ont opté pour des sanctions économiques, déclenchées en plusieurs salves depuis la fin février.

"Nous avons pris des trains de sanctions considérables, dont les effets sont en train d’être lourds et seront à mon avis de plus en plus lourds", annonçait début mars l'ancien ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. "Le prix à payer pour la guerre", prophétisait-il, "va devenir insupportable", si bien qu'à un moment donné "le président Poutine va être confronté au choix d’avoir des effets majeurs sur le fonctionnement de la Russie ou d’ouvrir des négociations". Alors que le conflit perdure et que Moscou poursuit son offensive, faut-il y voir un échec des sanctions ? Pour le savoir, Les Vérificateurs ont échangé avec Julien Vercueil, vice-président de l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), fin spécialiste de l'économie russe.

Un impact fort sur l'inflation

Il serait long et fastidieux de lister l'ensemble des sanctions économiques prononcées à l'encontre de la Russie. Citons toutefois le gel des avoirs de personnalités russes, la fin des transactions avec la Banque centrale russe et la Banque centrale de Biélorussie, mais encore l'exclusion de certaines banques russes du système SWIFT ou l'interdiction de tout financement public ou investissement en Russie. "Ces sanctions ont touché le système financier, qui a été fortement déstabilisé durant les premières semaines", note Julien Vercueil, ce qui s'est traduit par une "fuite des capitaux", une "forte chute du taux de change", mais aussi un "gel de certaines opérations financières et une forte poussée inflationniste"

Dans ce contexte, "les autorités monétaires ont réagi rapidement (hausse des taux d'intérêt et contrôle des changes) ce qui a freiné l'hémorragie de devises". Dans le même temps, "les importations ont lourdement chuté, sans doute de l'ordre 30 à 40%" note-t-il, bien que ces données ne soient plus communiquées avec la même fréquence. Les recettes d'exportation, observe le spécialiste, restent "portées par la hausse des prix des matières premières et demeurent importantes : leur chute a été estimée à 15 à 20%, mais elle se révèle peut-être moindre". En conséquence, "le compte des transactions courantes a enregistré un excédent exceptionnel, ce qui a rendu possible une détente des taux d'intérêt après la remontée spectaculaire du cours du rouble", poursuit le représentant de l'Inalco.

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De plus en plus d'entreprises industrielles russes en difficulté

Julien Vercueil souligne par ailleurs que "d'autres sanctions ont concerné les transferts de technologies dans certains secteurs clés". Si bien que beaucoup d'entreprises occidentales et asiatiques ont "cessé de nouer des contrats avec leurs homologues russes", y compris "dans des domaines non concernés par les sanctions". Un "choc de nature technique et commerciale" face auquel "la capacité de réaction de l'économie russe reste à démontrer". L'expert constate que "les stocks existants ont été utilisés et désormais, de plus en plus d'entreprises industrielles russes sont en difficulté (certaines sont à l'arrêt), ce qui risque de provoquer une chute de l'offre". Il prend l'exemple de l'industrie automobile, "dont la production accuse une baisse de plus de 60 % au mois de mai". Des éléments susceptibles d'aggraver la récession actuelle.

Plusieurs indicateurs sont à surveiller aujourd'hui, dont "le premier est l'inflation". En effet, "bien que le taux mensuel ait décliné depuis avril, la forte poussée initiale après le déclenchement de la guerre continuera d'avoir au 2e semestre des effets sur le pouvoir d'achat des ménages russes, qui était déjà sous pression depuis la crise Covid". Une chute de la demande des ménages est à prévoir, "or c'est un moteur essentiel de la croissance"

Autre élément à observer, la production industrielle : "Si les problèmes d'approvisionnement et les goulets d'étranglement logistiques qu'on observe ne sont pas résolus dans les prochains mois - et pour certains, ils ne pourront l'être -, le grippage de l'offre pourrait rejoindre, voire dépasser celui de la demande". Des scénarios envisagés "y compris par des économistes russes" qui auraient pour conséquence "une chute plus forte de l'activité que ce qui est envisagé aujourd'hui." Reste enfin à surveiller "le solde budgétaire de l'État", en raison notamment de dépenses militaires qui "auraient doublé depuis le début du conflit". Pour l'heure, Moscou peut compter sur "l'afflux de la rente pétrolière [...] pour éviter un trop fort creusement du déficit", mais rien ne permet de certifier qu'il en sera de même au second semestre.

Un impact sur le quotidien des Russes

Dans la vie de tous les jours, la population ressent-elle les sanctions ? Julien Vercueil explique que oui. Le "pic inflationniste", la confiscation temporaire de l'accès à certains comptes et les restrictions aux sorties de devises sont autant de mesures qui ont touché les plus modestes et les couches aisées. Sans compter la pénurie qui a concerné les produits stockables. Si ce mouvement "s'est largement résorbé", il a été remplacé par l'appauvrissement des produits sur les étals. Les marques occidentales ont laissé leur place à "des substituts plus ou moins réussis, locaux ou asiatiques". 

Si la Russie plie, elle ne semble donc, pour l'heure, pas encore proche d'une quelconque rupture. "Mais personne n'a jamais prétendu que débrancher sept banques du réseau Swift suffirait à provoquer la fin du conflit en Ukraine", tranche Julien Vercueil. "À terme, les sanctions vont contribuer à l'isolement technologique et commercial, voire intellectuel, de la Russie vis-à-vis des flux en provenance de l'Occident. Il faudrait un délitement spectaculaire du glacis que Vladimir Poutine a réussi à constituer autour de lui pour que les difficultés économiques débouchent sur un retournement politique, par exemple sous la forme d'un coup d'État." Dans le contexte actuel, "la grande question est à mon sens celle de la capacité de la Russie à construire des alliances internationales solides", glisse le chercheur. "La deuxième économie mondiale est désormais la Chine [...] La difficulté pour le pouvoir russe sera de tirer parti de sa bonne relation avec Pékin sans tomber dans une dépendance technologique, financière et, pour finir, politique envers son voisin dont l'économie est une dizaine de fois plus massive que la sienne et surtout, beaucoup plus diversifiée."

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Thomas DESZPOT

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