La Russie accuse l'Ukraine d'avoir tenté de frapper le Kremlin dans la nuit de mardi à mercredi.Des accusations rejetées par Kiev, qui nie toute implication dans cette attaque de drones.Que sait-on sait des éventuelles responsabilités de chacune des parties ? TF1info fait le point.
Dans cette guerre informationnelle, chaque élément doit être pris avec la plus grande vigilance. Rarement cette règle n'aura été aussi vraie. Face aux images relayées par la Russie d'un drone explosant au-dessus du Kremlin ce mercredi 3 mai, l'heure est à la précaution. D'autant que cette attaque imputée à l'Ukraine aurait eu comme objectif, selon Moscou, d'assassiner directement le président Vladimir Poutine. Des allégations qui ont déclenché une vague d'appels aux représailles à l'encontre de Volodymyr Zelensky et son gouvernement. Mais ces accusations sont-elles fondées ? Ou s'agit-il d'un moyen destiné à justifier une nouvelle escalade du conflit en Ukraine ?
L'empressement de la communication interroge
Dès la diffusion des premières images de l'attaque, l'éventualité d'une opération sous fausse bannière a été envisagée. Baptisée "false flag" en anglais, cette technique consiste, pour un pays ou une organisation, à mener des actions laissant croire à une attaque de l'ennemi. Et dans le cas présent, plusieurs éléments donnent du crédit à cette hypothèse.
C'est d'abord la communication autour de l'événement qui interpelle : habituellement très discret sur les frappes qui touchent son territoire, le pouvoir russe a immédiatement réagi à celle-ci. "La présentation rapide, cohérente et coordonnée" d'un récit officiel pourrait suggérer la "mise en scène cet incident", relève ainsi l'Institut pour l'étude de la guerre (ISW) dans un rapport publié mercredi après-midi.
Même constat du côté de Sergueï Sumlenny, expert des questions concernant l'Europe de l'Est, qui s'étonne de "l'empressement" de la réaction russe. Et de la rapidité avec laquelle "plusieurs vidéos de haute qualité et en couleur, provenant de caméras de vidéosurveillance" sont apparues. "Toutes les caméras de vidéosurveillance autour du Kremlin sont sous le contrôle total du pouvoir", note le spécialiste, soulignant que "personne ne peut les divulguer sans autorisation". Autant d'indices qui prouveraient selon lui l'importance de l'incident pour la propagande officielle : "Le Kremlin veut que nous le voyions."
THREAD I think the “Kremlin UAV attack” is a false flag. Here is why: 1) Several videos in high quality and color appeared, from CCTV cameras. All CCTV cams around Kremlin are under full Kremlin control. Nobody may leak them without permission. The Kremlin wants us to see it. /1 — Sergej Sumlenny (@sumlenny) May 3, 2023
Il existe par ailleurs de sérieux doute sur la possibilité technique d'une telle attaque venue d'Ukraine. Et pour cause, 460 kilomètres séparent Moscou de la plus proche frontière avec son voisin. Or, si les deux armées disposent de drones capables de parcourir ces distances, ils ne sont pas aussi petits que ceux visibles sur les vidéos.
"L'image que l'on voit, c'est un petit drone, à petite vitesse, avec une petite charge", explique le consultant militaire Pierre Servent au micro de TF1. "Donc il ne vient pas de 400 kilomètres, mais plutôt de 40". Même observation pour le général Michel Yakovleff, ancien chef d'état-major de Shape (Otan), qui émettait ce jeudi sur LCI l'hypothèse de "mini-missiles télécommandés" envoyés sur le Kremlin puis "activés à distance".
On fait deux explosions au-dessus du Kremlin et après on pousse des cris d'orfraie
Le général Michel Yakovleff sur LCI
Mais quelles raisons auraient pu pousser Moscou à orchestrer une telle opération ? Selon Michel Yakovleff, la réponse est toute trouvée : "On fait deux explosions au-dessus du Kremlin et après, on pousse des cris d'orfraie." Et c'est bien là le cœur du sujet. À quelques jours de la fête du 9-Mai, célébrée en Russie comme le jour de la Victoire sur l'Allemagne nazie lors de la Seconde Guerre mondiale, certains observateurs affirment qu'une opération sous fausse bannière servirait à justifier une escalade dans le conflit.
Entre autres exemples, celui de l'ancien chef adjoint de l'état-major de la Défense britannique, Simon Mayall. Auprès de Sky news, le militaire estime qu'un "false flag" contribuerait à créer le récit de "l'importance d'un effort national pour tuer Zelensky" et "attaquer les Ukrainiens". Dès l'annonce de cette prétendue tentative d'assassinat, de nombreuses personnalités politiques russes ont d'ailleurs appelé à l'escalade militaire, citant clairement "l'élimination physique" de l'ancien comédien.
Une frappe bonne pour le moral de Kiev
Il n'empêche que la théorie de la mise en scène se heurte à un argument en particulier : une telle manœuvre représenterait un risque considérable pour le régime de Poutine, à savoir de paraître faible aux yeux de sa population et incapable de se défendre contre les attaques venues de son voisin, d'autant plus contre des lieux emblématiques comme le Kremlin.
Alors, l'Ukraine pourrait-elle être responsable ? Son armée dispose en tout cas des capacités techniques et technologiques nécessaires pour mener une telle frappe. Des modèles tels que le UJ-22 et le Mugin-5 de fabrication chinoise, "ont manifestement déjà été utilisés" par Kiev, avance Samuel Bendett, du centre de réflexion américain CNA, qui cite également le drone ukrainien PD-1. Mais d'après cet expert en systèmes d'armement sans équipage, la question demeure de savoir "d'où les drones ont été lancés", alors qu'un grand flou subsiste, insiste-t-il.
Chercheuse à l'École polytechnique fédérale de Zurich, Dominika Kunertova est aussi de cet avis, rappelant que l'un des objectifs principaux de l'Ukraine en matière de technologie a été "d'étendre la distance de frappe". Et selon elle, "l'un des principaux avantages stratégiques d'utiliser un drone" est justement la possibilité pour son auteur de nier en être à l'origine.
Si nous supposons qu'il s'agit d'une attaque ukrainienne, considérons qu'il s'agit d'une frappe performative
Mark Galeotti, spécialiste de la Russie
De l'avis des spécialistes, l'Ukraine peut donc toucher le cœur de la Russie. Elle l'a d'ailleurs déjà prouvé par le passé. Bien qu'elle n'en revendique généralement pas la responsabilité, elle a frappé la Crimée à six reprises rien que cette semaine. D'autant que sur le plan stratégique, plusieurs acteurs ont déjà fait part de leur souhait de frapper Moscou. Les documents de renseignement américains ont notamment montré que le pays voulait réaliser une attaque sur la capitale russe en février. Plus récemment, un chef d'entreprise ukrainien a quant à lui promis un demi-million d'euros à qui poserait un drone sur la place Rouge le 9 mai.
Tout l'intérêt pour Kiev est là : réaliser une frappe symbolique pour remonter le moral des troupes. "Si nous supposons qu'il s'agit d'une attaque ukrainienne, considérons qu'il s'agit d'une frappe performative, d'une démonstration de capacité", a écrit sur Twitter Mark Galeotti, spécialiste de la Russie et analyste de la sécurité. Pour lui, une telle opération serait une déclaration d'intention de la part de Kiev à destination de son envahisseur : "Ne pensez pas que Moscou soit en sécurité."
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