Ukraine : plus de 600 jours de guerre

Guerre en Ukraine : comment Kiev mène une "guerre juridique totale" à la Russie

Publié le 27 septembre 2023 à 14h21

Source : JT 13h WE

Loin des bombes et des chars du front armé, l'Ukraine riposte à l'invasion russe sur le terrain judiciaire.
Elle mène ainsi à son voisin une "guerre juridique" à plusieurs niveaux et a saisi, dans cette optique, plusieurs instances internationales.
L'une de ces batailles se joue en partie ce mercredi.

Défiant les pronostics depuis le 24 février 2022, l'Ukraine défend chèrement sa peau, résistant à l'envahisseur russe. Depuis quelques mois, une contre-offensive – fastidieuse, mais concrète – lui permet même de reprendre pas à pas du terrain sur les forces de Moscou. Mais une autre bataille, plus silencieuse, se joue loin du front armé : une "guerre juridique totale".

Cette dernière a débuté deux jours après l'invasion, le 26 février 2022, quand les avocats ukrainiens ont déposé un recours contre Moscou devant la Cour internationale de justice (CIJ), qui statue sur les différends entre nations, et siège à La Haye (Pays-Bas). Kiev fait ainsi valoir que Vladimir Poutine a abusé de la convention des Nations Unies sur le génocide lorsqu'il a utilisé un prétendu "génocide" dans l'est de l'Ukraine comme prétexte à une invasion. Dans cette affaire, les plaidoiries finales sont entendues ce mercredi 27 septembre.

Autre instance judiciaire, elle aussi basée à La Haye, la Cour pénale internationale (CPI) a délivré un mandat d'arrêt à l'encontre du président russe, l'accusant d'avoir organisé la déportation illégale d'enfants ukrainiens, ce qui constitue un crime de guerre.

Mais l'AFP rappelle qu'aucun de ces tribunaux ne peut juger les dirigeants russes, dont M. Poutine, pour le crime d'"agression", défini comme une attaque d'un État par un autre en violation de la charte des Nations Unies. C'est pour cette raison qu'un groupe spécial de procureurs ukrainiens, européens, américains et de la CPI a été constitué à La Haye en vue de créer un tribunal spécial chargé de juger les hauts responsables russes.

La Cour permanente d'arbitrage et le Tribunal international du droit de la mer ont aussi été saisis

Dans le même temps, l'Ukraine a porté plainte devant la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), établie à Strasbourg, concernant des violations présumées des droits humains par la Russie.

Dernière pièce de l'arsenal judiciaire mis en place par Kiev : la saisie de la Cour permanente d'arbitrage (CPA) de La Haye et du Tribunal international du droit de la mer de Hambourg pour dénoncer les violations par la Russie du droit maritime international. 

Quels effets auraient de potentielles sanctions judiciaires ?

Cette offensive complète, qui se joue loin de l'Ukraine et de la Russie, a-t-elle une chance d'aboutir ? De faire plier Vladimir Poutine, ou même de compliquer son opération militaire ? Là, l'AFP rappelle qu'en mars 2022, la CIJ a ordonné à Moscou de mettre immédiatement fin à son invasion. Aucun représentant du pays ne s'est même présenté aux audiences.

S'il parait hautement improbable que Moscou obtempère pleinement aux décisions prises par les cours internationales et cesse son invasion, l'intérêt pourrait ne pas être nul pour autant : interrogée par l'AFP, Melanie O'Brien, professeure adjointe à la faculté de droit de l'université d'Australie occidentale, explique ainsi que si "certains pays ne respectent pas la loi, y compris la Russie, (...) il est toujours important de les interpeller et de porter plainte contre eux lorsqu'ils enfreignent la loi"

En somme, poursuit la spécialiste, "cette affaire montre que d'autres pays ne considèrent pas la conduite de la Russie comme acceptable, mais plutôt comme illégale". Et un arrêt de la CIJ contre la Russie serait un élément supplémentaire pour isoler Moscou et confirmer qu'il a enfreint le droit international, indique aussi la professeure de droit.

L'importance des instances judiciaires dans le processus de paix

Autre point important, les décisions de ces instances peuvent aussi constituer "une reconnaissance importante pour les victimes de violations des droits de l'Homme et de crimes internationaux que ce qui leur est arrivé, à elles et à leurs proches, n'était pas légal", développe Cecily Rose, juriste et professeure adjointe de droit international public à l'université de Leyde (Pays-Bas).

Viendra ensuite le temps des négociations de paix, voire des potentielles réparations : lors de ces étapes, prouver que les actes de la Russie étaient contraires au droit international pourrait également être un élément clef, souligne aussi l'experte.

Melanie O'Brien, elle, rappelle aussi qu'une justice rendue aujourd'hui pourrait être effective ultérieurement : "Ce n'est pas parce que Poutine refuse de se conformer à une décision aujourd'hui qu'il restera éternellement au pouvoir. À un moment donné, un changement de régime se produira et pourra conduire au respect du droit international."

Mais pour l'heure, l'Ukraine et ses alliés devront se munir de patience. D'une part parce que Moscou semble insensible aux démarches judiciaires entreprises par Kiev, en attestent les intenses combats qui font toujours rage sur le front. D'autre part, parce que les rouages de la justice tournent lentement. Ainsi de l'affaire du "génocide" devant la CIJ : elle ne porte que sur la question de savoir si la Cour est compétente pour juger ce contentieux. Viendra ensuite la mise en place d'un tribunal spécial, un processus politiquement sensible et qui prendra du temps. 


Maxime MAGNIER

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