Guerre en Ukraine : quel intérêt aurait Pékin à s'impliquer dans ce conflit ?

Propos recueillis par Thomas Guien
Publié le 18 mars 2022 à 12h20, mis à jour le 18 mars 2022 à 12h25

Source : JT 20h WE

Depuis le début de l'invasion russe, le régime chinois s'est abstenu d'appeler Vladimir Poutine à retirer ses troupes d'Ukraine.
Les États-Unis se sont inquiétés lundi de la position "d'alignement de la Chine avec la Russie", des médias affirmant que Moscou a demandé de l'aide à Pékin.
Pour le chercheur Antoine Bondaz, la Chine "reste dans une position de ni-ni" mais soutient "implicitement son voisin."

Moscou a-t-elle demandé à Pékin de lui fournir son aide, économique et militaire, pour mener l'invasion de l'Ukraine ? C'est en tout cas les informations qui circulent dans la presse américaine. Si la Russie a démenti pendant que la Chine a reproché aux Américains de propager de "fausses nouvelles", la polémique illustre l'inquiétude que représente pour les Occidentaux la proximité entre les deux pays. Les explications pour LCI d'Antoine Bondaz, chercheur spécialiste de la Chine à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Washington redoute un soutien de la Chine à la Russie. Quel intérêt aurait Pékin à s'impliquer dans ce conflit ?

Tout dépend du type de soutien dont on parle. Je ne vois pas l’intérêt que la Chine aurait à soutenir militairement explicitement la Russie. On peut toujours imaginer la fourniture d’équipements en matière de soutien logistique ou même des drones, mais pour ces derniers il faudrait des mois pour former les opérateurs russes. Par ailleurs, cela aurait un coût énorme pour la Chine qui ne pourrait plus prétendre à une position de quasi-neutralité qui n’est qu’une position de façade.

La Russie devient de plus en plus toxique
Antoine Bondaz

Pour l’instant la Chine reste dans une position de ni-ni, ni soutien explicite, ni condamnation de la Russie. Pour autant, le pays soutient implicitement son voisin, reprenant ouvertement ses éléments de langage, critiquant les États-Unis et l’Otan, condamnant l’adoption de sanctions par les Occidentaux, etc. Cette position n’est pas tant pour la Russie que pour la Chine, c'est-à-dire cohérente avec les objectifs chinois que sont depuis longtemps de discréditer les États-Unis, de convaincre du déclin des Occidentaux, et de montrer la supériorité de son modèle de gouvernance présenté comme plus efficace et plus stable.

Le principal problème pour Pékin est que la résistance ukrainienne, les difficultés militaires russes ou encore le soutien considérable de l’Occident n’avaient pas été anticipés (nous ne l’avions-nous même pas anticipé…). Cela complique évidemment la donne pour Pékin et ce alors que la Russie devient de plus en plus toxique. S'afficher comme étant un partenaire stratégique de la Russie a un coût politique.

La Russie de Poutine était un partenaire idéal de la Chine
Antoine Bondaz

Isolée par les sanctions occidentales, la Russie peut-elle envisager un conflit à long terme en Ukraine sans le soutien (militaire / logistique) de Pékin ?

On peut évidemment l’imaginer. Encore une fois, tout dépend des équipements que pourrait fournir Pékin, car ce n’est pas simple. Il faut que ces équipements chinois soient facilement utilisables par les armées russes, qu’ils soient compatibles avec les équipements existants russes, qu’ils soient disponibles à l’exportation, etc. 

Concernant les sanctions, la Chine peut participer à leur atténuation mais ne peut en aucun cas les compenser intégralement. Bref, les sanctions ont et vont avoir un impact considérable sur l’économie russe et la Chine ne pourra pas l’éviter. La question importante pour Pékin est plutôt celle de la stabilité du régime russe. Un affaiblissement à long terme de la Russie et un changement de régime, ou un changement de leadership, entrainerait une période de fortes incertitudes qui ne serait pas dans l’intérêt de Pékin. 

La Russie de Poutine était un partenaire idéal de la Chine de Xi car ces deux régimes autoritaires ont une perception de la menace identique : les États-Unis et plus largement les pays occidentaux. Et surtout une conception de la sécurité nationale assez similaire : c’est in fine la sécurité politique, qui permet la préservation du système politique, qui prime sur la sécurité militaire. Car aujourd’hui il faut être honnête, personne à Moscou ou Pékin ne pense que Washington va attaquer ou envahir ces pays du jour au lendemain.

Ménager ses partenaires commerciaux en Europe tout en soignant son amitié avec la Russie : la Chine pourra-t-elle continuer longtemps à pratiquer cet exercice d'équilibriste ?

C’est de plus en plus difficile, surtout que l’image de la Chine en Europe se dégrade très fortement depuis plusieurs années. Pour l’instant, encore de nombreux Européens pensent que la Chine pourrait avoir un rôle de médiateur dans la guerre en Ukraine. Je ne le pense pas, car elle est trop proche de la Russie et a plus intérêt à laisser la Turquie ou Israël essayer de jouer ce rôle.

Par contre, on voit bien que du côté américain, l’objectif est de faire prendre conscience aux Européens que la Chine n’est pas un partenaire fiable et qu’il faut se méfier de la coordination sino-russe. On ne peut pas dans ce cadre penser que les informations diffusées par la Maison Blanche sur la demande russe de soutien chinois soit un hasard. 

L’objectif est aussi de forcer la Chine à se positionner : soit elle refuse explicitement de soutenir militairement la Russie et la relation sino-russe s’affaiblit de fait car le "partenariat stratégique qui ne connaît pas de limites" en a désormais, ou alors elle soutient militairement la Russie avec pour conséquence une dégradation des relations avec les pays de l’Union Européenne. D’où la stratégie chinoise d’éviter de répondre à la question et d’affirmer simplement que c’est de la désinformation.


Propos recueillis par Thomas Guien

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