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Cette carte illustre-t-elle la colonisation croissante de la Palestine par Israël depuis 1946 ?

Publié le 12 octobre 2023 à 16h31, mis à jour le 12 octobre 2023 à 18h12

Source : TF1 Info

En marge de l'attaque perpétrée par le Hamas, les défenseurs de la cause palestinienne insistent sur l'expansion de la colonisation par Israël.
Des cartes montrant la réduction du territoire palestinien depuis 1946 sont mises en avant sur Internet.
Il faut les observer avec prudence en raison du statut très particulier de la Palestine et de son territoire à travers les époques.

Sur les réseaux sociaux, on observe depuis plusieurs jours circuler des cartes du Proche-Orient. Depuis les attaques du 7 octobre perpétrées par la branche armée du Hamas, ces publications veulent montrer une réduction progressive des territoires palestiniens depuis 1946. 

Plusieurs versions très similaires sont partagées, illustrant chaque fois une forme de "grignotage" territorial d'Israël. 

Des territoires qui étaient sous mandat britannique

L'expansion des colonies dans les territoires palestiniens occupés préoccupe les Nations unies. Le coordonnateur spécial pour le processus de paix au Moyen-Orient, portant la voix du Conseil de sécurité, s'adressait encore très récemment à l'État hébreu sur le sujet : le 27 septembre dernier, il lui demandait de respecter "pleinement toutes les obligations juridiques qui lui incombent" et de mettre un terme à ses activités de peuplement.

Pour autant, il faut se méfier des cartes qui sont relayées depuis quelques jours, puisqu'elles laissent à penser que les Palestiniens disposaient, en 1946, d'un État aux frontières reconnues de manière unanime et légitime à l'échelle internationale. 

Durant plusieurs siècles, les territoires qui composent aujourd'hui Israël et la Palestine ont fait partie du vaste empire ottoman. C'est en 1922 que la Palestine, à l'instar d'autres régions anciennement ottomanes, se trouve placée sous mandat britannique par la Société des Nations. Une Grande-Bretagne déjà présente dans la région lors de la Première guerre mondiale et qui a ainsi conforté son implantation dans la région à l'issue du conflit. 

Ces ex-zones sous domination ottomane, fait remarquer le site des Nations unies, "deviendront par la suite des États pleinement indépendants, à l’exception de la Palestine". On y observe ainsi une situation spécifique, "où la puissance mandataire, en plus de fournir 'une assistance et des conseils d’ordre administratif', agit comme annoncé dans la Déclaration Balfour de 1917, dans laquelle elle déclare envisager favorablement 'l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif'." C'est ainsi qu'entre 1922 et 1947, "des juifs venus essentiellement d’Europe de l’Est immigrent massivement en Palestine sous mandat, en particulier pendant les persécutions nazies des années 1930". Les spécialistes estiment que le nombre de juifs installés en Palestine est passé de "13.000 en 1852 (4 % de la population des districts de Jérusalem, Acre et Naplouse)", "à 650 000 un siècle plus tard, lors de la création d’Israël en 1948".

Les représentations graphiques qui laissent à penser que la Palestine était une entité souveraine en 1946 se montrent trompeuses. Si des populations arabes vivaient historiquement dans la zone, elles cohabitaient avec des personnes de confession juive, au sein d'un vaste ensemble dont les contours n'étaient pas ceux d'un État indépendant. L'encyclopédie Wikipédia, quand elle présente des cartes de la région au sortir de la Seconde Guerre mondiale, prend d'ailleurs bien soin de matérialiser la cohabitation des différents peuples, au sein de ce qui était une région sous mandat britannique.

Wikipedia propose une représentation plus juste de la Palestine en 1946, soulignant le mandat britannique et illustrant la cohabitation entre populations arabes et juives.
Wikipedia propose une représentation plus juste de la Palestine en 1946, soulignant le mandat britannique et illustrant la cohabitation entre populations arabes et juives. - CC0 Wikimedia

Un statut toujours précaire

Dans des cartes qui sont actuellement relayées sur les réseaux sociaux, la situation de la Palestine en 1947 est également mise en avant. Les zones représentées en vert sont celles qui étaient définies par l'ONU comme le territoire d'un futur État arabe, voisin d'un État juif (Jérusalem étant amenée à être placée sous contrôle international). Il faut pourtant noter que cette partition de la Palestine n'a jamais été effective : suite au vote des Nations unies en 1947, une guerre civil éclate, à l'issue de laquelle est officiellement fondé l'État d'Israël (la déclaration d'indépendance du pays date du 14 mai 1948). Les délimitations entérinées par l'ONU ne seront pas appliquées puisque lorsque la guerre israélo-arabe de 1948 prend fin, l'État hébreu a étendu ses limites au-delà du plan initial voté en assemblée générale à l'ONU.

On le comprend, les frontières initialement fixées par la communauté internationale en 1947 sont restées fictives. Les représenter sur des cartes nécessite donc des précautions, en particulier sur le caractère théorique de ces délimitations territoriales. Il ne faudrait pas non plus négliger le fait qu'après l'armistice de 1949, les voisins arabes d'Israël se sont partagés ce que l'on nomme aujourd'hui les territoires palestiniens. La bande de Gaza est passée sous domination égyptienne, quand la Cisjordanie se voyait contrôlée par la Jordanie. Une situation qui a perduré jusqu'à 1967 : la guerre des Six jours bouleverse les rapports de force et permet à Israël d'annexer ces deux territoires. Un contrôle assez ponctuel, puisque l'État hébreu négociera la même année son retrait dans le cadre de la résolution 242 des Nations unies. Ce texte, rejeté durant deux décennies par les représentants palestiniens, sera finalement accepté en 1988 par Yasser Arafat. Un revirement lourd de conséquence : il entérine d'un côté la création d'un État palestinien, tout en conduisant de manière implicite, de l'autre côté, à une reconnaissance par les dirigeants arabes de la souveraineté d'Israël.

Le statut politique très spécifique de la Palestine, qui est devenue un "État non membre observateur" auprès de l’ONU en 2012, contribue à la difficulté de statuer sur ses frontières. Quand certains se réfèrent à la partition de la Palestine de 1947, d'autres prennent pour référence la "ligne verte" (fixée par les armistices de 1949) ou les accords d'Oslo, à l'issue desquels l'Autorité palestinienne voit le jour en 1993. Chaque fois, une vision différente s'oppose sur ce que doit constituer le territoire revenant de droit aux Palestiniens. Des points de vue divergents qui n'aident pas à s'y retrouver, dans un contexte où une majorité de pays occidentaux (parmi lesquels la France) continuent de ne pas reconnaître officiellement à la Palestine un statut d'État indépendant.

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Thomas DESZPOT

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