Emmanuel Macron refuse pour le moment d'employer le terme de "génocide" à propos des exactions russes en Ukraine.Le président ukrainien s'est dit blessé par la position de son homologue français.Quelle est la définition juridique de ce terme, si souvent utilisé ces derniers jours ?
"S'ils sont vrais, de tels propos sont très blessants pour nous", a réagi le président ukrainien dans la soirée de ce mercredi. C'est un coup de froid sur les relations entre Paris et Kiev, en attendant que les deux dirigeants reprennent langue. Emmanuel Macron avait refusé, un peu plus tôt, d'utiliser le terme de "génocide" pour qualifier les crimes attribués à l'armée russe en Ukraine - comme venait de le faire le président américain. "Je ne suis pas sûr que l'escalade des mots serve la cause", avait poursuivi le président français.
Depuis que les autorités ukrainiennes reprennent le contrôle des régions quittées par les troupes russes après un mois d'occupation, de nombreuses atrocités sont découvertes, qui ont fait émerger l'accusation de "crimes de guerre". Ces derniers jours, les accusations sont montées d'un cran supplémentaire, avec l'accusation de "génocide" contre le peuple ukrainien, d'abord lancée par Volodymyr Zelensky, puis reprise par Joe Biden et Boris Johnson. On se souvient aussi que Vladimir Poutine avait utilisé le même terme pour qualifier la politique de Kiev dans le Donbass.
🛑 V.Zelensky dénonce le refus d’E.Macron de parler de génocide en #Ukraine ➡️Denis Strelkov, journaliste rédaction 🇷🇺 RFI 🗣️C’est important pour la France de se baser sur les faits, le génocide est un mot très fort donc il faut être extrêmement prudent #Le9h12h | @MAMELIYI pic.twitter.com/QZSMC8eGkh — LCI (@LCI) April 14, 2022
"Le mot génocide a une définition légale précise", explique William Schabas, professeur de droit international à l'université Middlesex de Londres, "mais il est aussi largement utilisé par les responsables politiques et les militants à cause de sa capacité à enflammer et exciter" les opinions publiques. De fait, la définition retenue dans l'opinion diverge de celle que reconnaît le droit, et qui invite à la prudence. Le mot "génocide" devrait "être employé avec beaucoup d'attention et de prudence, de préférence sur la base d'une enquête indépendante", estime ainsi Cecily Rose, professeur de droit public international à l'université de Leiden.
Le "génocide" entre dans le droit international en 1948
Le concept lui-même est né en 1943, sous la plume du juriste Raphael Lemkin, même s'il désigne un crime qui n'avait rien d'inédit dans l'Histoire. Adopté par l'ONU en 1948, le crime de "génocide" verra encore sa définition précise varier plusieurs fois. Le chef d'accusation de génocide peut, selon le droit international, qualifier plusieurs types de crimes commis "dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel". Il ne suppose donc pas forcément une extermination effective, ni même un crime de masse. Mais le point crucial de la qualification de génocide réside dans "l'intention", mentionnée au tout début de sa définition.
Démontrer "l'intention génocidaire"
"L'intention génocidaire" est donc ce qu'il faut démontrer pour condamner les auteurs des crimes sous ce chef d'accusation, et c'est la difficulté majeure - même lorsque les crimes sont avérés. La définition du droit français, qui est sans doute celle à laquelle se réfère Emmanuel Macron, est encore plus restrictive : l'acte doit avoir été commis en exécution d'un "plan concerté". Le génocide relève ici d'une forme de préméditation, et l'établir semble effectivement impossible à ce stade du conflit, toujours en cours en Ukraine.
En Ukraine, le traumatisme de la Grande famine
Du côté ukrainien, on peut relever un traumatisme historique en lien avec la notion de génocide. Le "Holodomor", la grande famine de 1932-33, orchestrée par Joseph Staline, relève d'une extermination de masse par la faim, qui a fait entre 2,6 et 5 millions de morts. Or, cet évènement atroce, reconnu comme génocide en Ukraine, n'a pas été reconnu comme tel par l'ONU, malgré une demande de Kiev en ce sens.
L'aspect intentionnel de la famine est discuté par certains historiens, et surtout réfuté par la Russie et le Kazakhstan. Et un autre aspect de la définition stricte d'un génocide participe à en exclure l'Holodomor : elle ne concerne pas les crimes commis contre des groupes sociaux ou politiques. C'est pourquoi des crimes de masse commis par les régimes stalinien ou maoïste échappent à cette qualification.
Sur le terrain en Ukraine, les enquêteurs locaux et étrangers - dont des Français - recueillent en ce moment des témoignages et des informations quant aux crimes commis dans les zones occupées par l'armée russe. C'est un travail de longue haleine qui sera déterminant pour d'éventuels procès après la guerre. En revanche, l'intention de "détruire un groupe national", les Ukrainiens en l'occurrence, nécessaire à la qualification de génocide, semble impossible à établir avant la fin des combats - quelle qu'en soit l'issue.
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