Vladimir Poutine tente d’avoir la main sur les informations diffusées par le Wikipédia russe.Des pages sur la guerre en Ukraine ne collent pas avec la version du Kremlin.
"Vous ne pouvez pas simplement utiliser Wikipédia" : dans une vidéo diffusée le 5 mai par les médias d’État, Vladimir Poutine a estimé que l’encyclopédie en ligne, et disponible dans plus de 280 langues, n’était pas une source d’informations fiable. Avec la guerre en Ukraine, Wikipédia se trouve à nouveau dans le viseur du Kremlin en diffusant des informations qui ne collent pas avec la propagande russe.
Putin, the Internet expert, warns against reading Wikipedia, where Russians incidentally can learn easily about their country’s war of aggression against Ukraine, not to mention many atrocities committed there by Russian troops. pic.twitter.com/wsMxNDmDpb — Kevin Rothrock (@KevinRothrock) May 5, 2022
À ce jour, la version russe du site, qui compte plus de 1,8 million d’articles, est pourtant accessible en Russie. Seules certaines pages spécifiques y sont interdites, la plupart étant relatives à des drogues, au suicide ou encore à la technique du cocktail Molotov. Aucun des articles censurés ne traite de la guerre en Ukraine. Mais beaucoup sont considérés comme litigieux et allant à l’encontre de la loi fédérale : c’est le cas des pages consacrées à "la bataille de Kiev", aux "crimes de guerre lors de l’invasion russe de l’Ukraine", au "bombardement d’un hôpital à Marioupol" ou encore à la "destruction du théâtre de Marioupol". Or, ces articles sont largement consultés par les Russes. Au mois d'avril, celui sur "l’invasion russe en Ukraine" de 2022 a été même le plus lu quotidiennement de la version russe, avec 3,7 millions de vues (126.000 par jour).
Malgré l’accessibilité du site, certains Russes utilisent des VPN pour s’y rendre de manière anonyme, car dans un pays où les canaux d’information sont de plus en plus contrôlés, il vaut mieux être prudent. D’ailleurs, l’association Wikimédia prévient les contributeurs des pages russes : "Si vous vivez en Ukraine, en Russie ou en Biélorussie, NE signez PAS à la fin de votre message et NE divulguez PAS vos informations personnelles".
"Le massacre à Boutcha", page la plus modifiée
Sur le fond, certaines pages relatives à la guerre en Ukraine sont plus sensibles que d’autres. Par exemple, l’article sur le conflit qui a subi le plus de modifications concerne le massacre de Boutcha, avec 1062 éditions depuis sa création. La page sur l’invasion russe a quant à elle été éditée 735 fois. Sur celle-ci, on trouve des termes à contre-courant du discours officiel, comme l’"agression russe contre l’Ukraine", la "censure des médias russes" ou l’existence de "preuves de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité".
Les articles consacrés à Boutcha et à l’invasion russe sont au cœur d’un combat lexical et ont essuyé plusieurs tentatives de changement de nom. Par exemple, "le massacre à Bucha" a été modifié le 4 avril en "incident de Bucha" et l’invasion est devenue le 24 février une "opération militaire russe en Ukraine". Désormais, cette dernière page est placée "sous protection partielle et ne peut pas être modifiée par des membres non enregistrés ou non vérifiés automatiquement". Une mainmise nécessaire pour éviter que des acteurs de la propagande ne se mêlent aux contributeurs de bonne foi. D'ailleurs, le compte Twitter RuGovEdits, qui se charge de surveiller les éditions des pages Wikipédia faites depuis des ordinateurs du gouvernement russe, voit la main du Kremlin derrière certaines modifications de pages.
Par l’intermédiaire de son agence de contrôle des médias sur Internet, le pouvoir russe cherche à exercer davantage de contrôle sur l’information disponible sur Wikipédia. L’agence Roskomnadzor a manifesté plusieurs fois son mécontentement à l’endroit du site, lui demandant expressément de retirer toute mention de "l’invasion russe en Ukraine" de ses pages russes. Fin avril, Wikipédia a écopé d’une amende de 5 millions de roubles (676.000 euros) "pour 2 articles sur des explosifs et 5 articles sur l'invasion", d’après la Wikimedia Foundation, qui le finance.
"Chaque semaine, un nouvel article est signalé. L’administration met en place les conditions d’un éventuel blocage", s’est alarmé sur Twitter Pierre-Yves Beaudouin, administrateur de Wikimédia France. Au mois de mars, craignant un blocage imminent de l’encyclopédie, à l’image de Facebook ou Instagram, la Russie est devenue le pays ayant effectué le plus de téléchargements hors ligne de Wikipédia, selon le logiciel Kiwix. À ce jour, elle reste au sixième rang mondial. Et selon les statistiques de Wikimédia, la version russe du site est surtout consultée en Russie. Au mois d’avril, celle-ci a concentré 617 millions de vues dans le pays, devant l’Ukraine (120 millions) et le Kazakhstan (42 millions).
Si cela fait des années que Vladimir Poutine veut bloquer l’encyclopédie dans le pays, comme en atteste cet article de 2015, et ambitionne de la remplacer par une version édulcorée, le pouvoir russe redouble d’attention pour fragiliser l’image du site. Mi-avril, Wikipédia a été qualifié de "foyer de contrefaçons et de désinformation" et de "site russophobe" dans un clip diffusé à la télévision d’État.
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