Le barrage hydroélectrique de Kakhovka, près de Kherson, a été éventré dans la nuit, laissant le Dniepr se déverser à haut débit dans la région.Le site est au cœur des inquiétudes de Kiev depuis plusieurs mois.Les autorités ukrainiennes avaient anticipé dès le mois d'octobre une catastrophe naturelle en cas de frappes sur l'infrastructure, l'une des plus grandes du pays.
Pour Kiev, c'est un cauchemar redouté de longue date qui devient réalité. Le gigantesque barrage hydroélectrique de Kakhovka, dans la région de Kherson dans le sud de l'Ukraine, a été détruit dans la nuit de lundi à mardi, provoquant d'importants risques d'inondations. Selon des responsables ukrainiens, plusieurs villages sont déjà inondés. Si l'Ukraine et la Russie se renvoient la responsabilité de la catastrophe, les autorités ukrainiennes craignaient depuis des mois que ce scénario ne se réalise sur ce site qui se trouve dans une région partiellement sous contrôle des forces russes.
Dès le mois d'octobre, Kiev affirmait que les autorités russes d'occupation disposaient du contrôle total du barrage, après en avoir expulsé les employés ukrainiens, et se préparaient à une attaque. Elle avait alors accusé les Russes d'avoir miné le site, ce qu'ils avaient nié, et avait réclamé une mission d'observation internationale pour le surveiller.
"Catastrophe historique"
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'était inquiété le 20 octobre 2022 devant le Conseil de l'Union européenne d'une possible explosion du barrage, estimant que "plus de 80 localités, dont Kherson, se retrouveront dans la zone d'inondation rapide". "Cela pourrait détruire l'approvisionnement en eau d'une grande partie du sud de l'Ukraine" et affecter le refroidissement des réacteurs de la centrale nucléaire de Zaporijjia, qui puise son eau dans ce lac artificiel de 18 millions de mètres cubes, mettait-il en garde. "Les conséquences environnementales, humanitaires et humaines dévastatrices de cette seule attaque terroriste russe pourraient être telles que l'on parlera de catastrophe historique", avait assuré le dirigeant.
"En cas de destruction du barrage (...) le canal de Crimée du Nord disparaîtra tout simplement", et ce serait "une catastrophe à grande échelle", avait-il également prédit quelques heures plus tard dans l'une de ses allocutions quotidiennes, estimant qu'une telle attaque "sera assimilée à l'utilisation d'armes de destruction massive".
Construit en 1956, pendant la période soviétique, le barrage hydroélectrique de Kakhovka permet en effet d'envoyer de l'eau dans le canal de Crimée du Nord, qui part du sud de l'Ukraine et traverse toute la péninsule de Crimée. En amont de l'ouvrage se trouve le réservoir de Kakhovka, une retenue d'eau artificielle formée sur le cours du Dniepr, longue de 240 km et jusqu'à 23 km de large.
"Si la Russie prépare une telle attaque terroriste, si elle envisage sérieusement un tel scénario, cela signifie que les terroristes sont clairement conscients qu'ils ne pourront pas conserver non seulement Kherson, mais aussi tout le sud de notre pays, y compris la Crimée", avait encore insisté Volodymyr Zelensky. Son Premier ministre, Denys Chmygal, avait confirmé qu'une potentielle explosion pouvait "faire plusieurs milliers de victimes et (provoquer) l'inondation de dizaines de localités".
Des modélisations inquiétantes
Depuis des mois, ce scénario catastrophe avait été abondamment documenté et modélisé. Sur une carte de projection réalisée dès octobre et partagée ce mardi par Mustafa Nayyem, directeur de l'Agence nationale pour la reconstruction et le développement des infrastructures en Ukraine, les eaux du Dniepr s'avancent profondément dans les terres. "L'explosion de la centrale hydroélectrique de Kakhovskaya aura des conséquences dévastatrices, notamment une pénurie d'eau qui durera dix ans en Crimée, des dommages irréparables pour des centaines de milliers de personnes et le risque de noyade pour des milliers d'autres", écrit sur Twitter le responsable ukrainien, quelques heures après la destruction du barrage.
Blowing up the Kakhovskaya Hydroelectric Power Plant will have devastating consequences, including a decade-long water shortage in Crimea, irreparable damage to hundreds of thousands of lives, and the risk of drowning for thousands. pic.twitter.com/aNluqHkPM9 — Mustafa Nayyem (@mefimus) June 6, 2023
Selon un auteur et blogueur militaire suédois, Lars Wilderang, qui s'est penché sur une modélisation du site en octobre dernier, une démolition du barrage entraînerait de fortes inondations, en particulier sur la rive sud-est, dans le pire scénario, si toutes les vannes du site sont détruites. Une vague de quatre à cinq mètres pourrait frapper le pont Antonovsky, à l'est de la ville de Kherson, au bout d'une vingtaine d'heures. Dans une mise à jour ce mardi, le spécialiste a estimé que l'eau devrait monter dans la ville au bout de trois heures après la destruction du site. D'après des images qui circulent sur les réseaux sociaux, l'eau a déjà commencé à pénétrer dans la ville.
À plus long terme, au bout de quatre à cinq jours, des inondations pourraient aussi frapper Mykolaïv, une ville à environ 70 km au nord de Kherson, à cause la montée des eaux de la rivière Bug, selon l'auteur, qui appelle toutefois à la prudence dans l'interprétation de ce modèle.
Quant aux autorités d'occupation russe, sans se montrer aussi alarmistes, elles avaient également fait part de leur côté de leurs inquiétudes pour la sécurité du site ces derniers mois. En novembre, elles avaient accusé les forces ukrainiennes d'avoir "endommagé" le barrage lors d'une frappe. Elles avaient alors mené dans les villages autour du site des "évacuations" de civils face à une "possible attaque de missile" sur le barrage, dont la destruction entraînerait "l'inondation de la rive gauche" du fleuve Dniepr, avait alors déclaré un responsable de l'occupation dans la région de Kherson, Vladimir Saldo.
Ce mardi, le chef du gouvernement de la région de Kherson Andreï Alekseïenko a affirmé que les "territoires côtiers" de 14 localités où résident "plus de 22.000 personnes" sont menacés d'une inondation, mais il a assuré que "la situation est entièrement sous contrôle", bien loin des inquiétudes affichées par Kiev. Selon Oleksandre Prokoudine, chef ukrainien de l'administration militaire de la région de Kherson, plusieurs villages ont d'ores et déjà été "complètement ou en partie" inondés et "environ 16.000 personnes se trouvent en zone critique" à l'heure actuelle.
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