"Ils m'ont sauvé la vie" : le récit de la fuite de la journaliste russe antiguerre vers la France

par A.B.
Publié le 10 février 2023 à 15h41

Source : TF1 Info

Célèbre pour avoir dénoncé l'offensive russe en Ukraine à la télévision d'État, la présentatrice Marina Ovsiannikova a été exfiltrée vers Paris.
Elle était présente ce vendredi au siège de l'ONG Reporters sans frontières pour livrer les détails de cette opération hors du commun.
"On ne m'a pas laissé le choix", souligne-t-elle. "C'était soit la prison, soit l'immigration."

Nom de code "Evelyne". La journaliste russe Marina Ovsiannikova, célèbre pour avoir dénoncé l'invasion de l'Ukraine en direct lors d'un journal d'information à la télévision d'État, a livré ce vendredi 10 février le récit de sa fuite de Russie. Présente dans les locaux parisiens de l'ONG Reporters sans frontières (RSF), qui assure avoir organisé son exfiltration, elle a détaillé comment elle a réussi à quitter son pays avec sa fille, il y a quatre mois, alors qu'elle était assignée à résidence. 

"Je risquais dix ans de prison", a-t-elle expliqué lors d'une conférence de presse organisée par RSF, notamment pour avoir évoqué à l'antenne la guerre en Ukraine et le nombre d'enfants tués dans le conflit. "Malgré les efforts de mon avocat pour prouver que le chiffre que j'avais annoncé de 352 enfants morts (au mois de juillet, ndlr), les tribunaux ont affirmé que cette information était fausse", raconte-t-elle avant de préciser qu'en Russie, il est interdit "d'évoquer la mort des enfants et les événements de Boutcha et Marioupol", où l'armée russe est accusée de crimes de guerre.

Juste avant son jugement en octobre, la journaliste a une longue conversation avec son avocat. "Il m'a dit : 'Tu n'as plus que quelques jours pour réagir avec ton enfant. Agis et sauve ta vie'." Le samedi 1er octobre, elle disparaît du logement où elle est assignée à résidence et équipée d'un bracelet électronique.

"Je me disais 'pourquoi ne pas aller en prison ?'"

"Nous avons choisi de fuir dans la nuit du vendredi au samedi, quand toutes les forces de l'ordre ont terminé leur travail et étaient en repos. On avait deux jours pour quitter la Russie, car il y avait moins de chance qu'ils partent à notre recherche durant le week-end", indique la journaliste qui précise ensuite avoir "changé sept fois de véhicule". Mais au cœur de la nuit, leur voiture s'embourbe. Elle est alors forcée de marcher "dans des champs en se cachant des gardes, sans réseau mobile et en se repérant avec les étoiles".

"On a erré plusieurs heures avant de trouver notre route et de franchir la frontière. Je me disais 'pourquoi ne pas aller en prison ?'", détaille encore Marina Ovsiannikova, qui dit avoir, à un moment, "perdu espoir". "Mais heureusement tout s'est bien déroulé et nous étions attendus de l'autre côté."

La journaliste explique également ne pas avoir voulu "migrer" jusqu'au "dernier moment parce que la Russie, c'est mon pays". "Mais on ne m'a pas laissé le choix : c'était soit la prison, soit l'immigration. Je suis très reconnaissante envers la France qui m'a accueillie". Elle remercie les équipes de RSF qui lui ont "sauvé la vie" en l'aidant à fuir la Russie avec sa fille, un pays "où le pouvoir est détenu par des criminels de guerre".

37 journalistes tués

Une fuite "extraordinaire" selon le secrétaire général de RSF Christophe Deloire qui révèle qu'une fois arrivée sur le territoire européen et français, la journaliste a dû changer plusieurs fois de maison. "Nous avons même fait ses courses au début", s'amuse-t-il.

Ce témoignage intervient alors que la journaliste sort un livre autobiographique décrivant notamment "la fabrique de la propagande" médiatique de Moscou. Intitulé Zwischen Gut und Böse ("Entre le bien et le mal, comment je me suis enfin opposée à la propagande du Kremlin", ndlr). L'ouvrage de 200 pages est paru ce vendredi en Allemagne et devrait sortir plus tard en anglais et en français. Elle y décrit comment elle a décidé de dénoncer la guerre en Ukraine en brandissant une pancarte "No War" pendant le journal télévisé le plus regardé du pays. 

Reporters sans frontière rappelle que depuis la prise de pouvoir de Vladimir Poutine en Russie, 37 journalistes ont été tués et plus de 10.000 sites ont été bloqués pour "désinformation".


A.B.

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