Incendies : les "pyrocumulus", ces dangereux nuages de feu

par Maëlane LOAËC
Publié le 9 août 2022 à 11h33, mis à jour le 9 août 2022 à 11h40

Source : JT 20h WE

Au-dessus de certains incendies, se forment des "pyrocumulus", des nuages nés des flammes.
Un micro-phénomène météorologique orageux qui, en retour, alimente le brasier.

Une superficie de la taille de la ville de Chicago partie en flammes : débuté à la mi-juillet 2021, le Dixie Fire avait ravagé la Californie. À la frontière avec l’État voisin, le Nevada, barrée par un mur d’incendies, la chaleur était telle qu’elle déstabilisait l’atmosphère et créait son propre climat, avec un nuage orageux épais qui se dessine au-dessus du brasier. 

"C’est un cumulus qui se forme avec la fumée et qui monte dans le ciel, expliquait alors l’un des superviseurs de l’opération, le chef de brigade August Isernhagen, dans le reportage de TF1 en tête de cetarticle. "Il fait tomber de la foudre qui peut provoquer d’autres feux." 

Les pyrocumulus, ou pyrocumulonimbus si leur taille et leur puissance augmente, appartiennent à la famille des nuages de convection, qui se forment lorsque la surface du sol se réchauffe, et que cet air chaud monte dans l’atmosphère. Dans son ascension, cette bulle se refroidit et l’eau qu’elle contient se condense, pour créer "des nuages blancs, qui ressemblent à des moutons", explique Jean-Baptiste Filippi, chercheur au CNRS et coordinateur du programme numérique Fire Caster, destiné à prévoir la propagation des incendies par des modélisations en temps réel.

Mais lorsque des cumulus et cumulonimbus se forment au-dessus des incendies, la source de chaleur diffère. "D'habitude, la chaleur provient du soleil et le nuage finit par disparaître, alors que les pyrocumulus sont nourris par la chaleur de l’incendie, qui est permanente", détaille le spécialiste à LCI. "Le feu fabrique son propre vent, donc les pyrocumulus se maintiennent tant que l’incendie les alimente en air chaud."

Les incendies ont la spécificité de produire "beaucoup d’énergie électrostatique"

Et ces nuages vont à leur tour nourrir et propager le brasier, comme s’il s’auto-alimentait. En effet, les incendies ont la spécificité de produire "beaucoup d’énergie électrostatique, à cause du frottement de micro-poussières dans l’air". Conséquence : ces nuages sont souvent orageux, accompagnés de foudre qui peut ainsi relancer des départs de feu. Il est également possible d'apercevoir des grêlons, mais très peu de pluie, car les gouttelettes qui pourraient tomber s’évaporent avant de toucher le sol sous l’effet de la chaleur. 

"C’est exactement la même mécanique que les orages d’été, qui sont très intenses", commente Jean-Baptiste Filippi. Autre caractéristique inquiétante : "les sources de chaleur de l’incendie sont aussi très dominantes sur les vents déjà sur place", note le spécialiste. Les pyrocumulus peuvent donc déplacer des braises en modifiant la direction des vents et étendre la surface du brasier. 

"Une fois que la machine est lancée, il est très dur de l’arrêter"

Véritable micro-phénomène climatique, le pyrocumulus est donc "assez imprévisible" : il est souvent impossible de déterminer à l’avance où un incendie va se déclarer et comment il va évoluer. "Par exemple, si des pompiers se placent sur un site a priori calme selon leurs prévisions, les vents peuvent changer et ils risquent de se retrouver en danger", même si les soldats du feu sont rodés à l’exercice et connaissent bien le phénomène. 

Ces orages de feu se révèlent donc très difficiles à endiguer. "Une fois que la machine est lancée, il est très dur de l’arrêter : ses gammes d’énergie sont bien au-dessus des capacités humaines de lutte", estime le spécialiste. Pour circonscrire le phénomène, pas de remède miracle donc, à part attendre que l’atmosphère se stabilise pour que l’orage retombe, en veillant bien sûr à mettre en sécurité les populations. Et tenter de limiter la propagation des flammes par des stratégies sur terre, comme les contre-feux, des incendies volontaires lancés pour brûler une partie périphérique au départ de feu ; ce qui permet de créer un espace vide qui bloque le brasier. 

La formation de ces nuages de feu s’est accélérée ces dernières années : en Australie par exemple, frappée par des incendies de grande ampleur en janvier 2020, 56 pyrocumulus ont été enregistrés en quinze ans, entre 2001 et 2016. Mais au cours d'une période de six semaines en 2019, au moins 18 nuages de feu se sont formés dans le seul État de Victoria, dans le sud-est du pays. "Le lien avec le changement climatique est assez évident, même s’il n’est pas tout à fait direct", commente Jean-Baptiste Filippi. "Avec la chaleur qui grimpe, les incendies se multiplient et donc de plus en plus de pyrocumulus se forment."

Mais pour l’heure, l’Europe est plutôt épargnée par le phénomène, note le spécialiste. "En France, il arrive que des cumulus apparaissent au-dessus des incendies, sous la forme d’un nuage blanc, mais ils ne durent que quelques heures" et ne sont pas orageux, indique le spécialiste. 


Maëlane LOAËC

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