Incendies en Grèce : entre abandon et désarroi, la colère gronde

Publié le 10 août 2021 à 18h14, mis à jour le 10 août 2021 à 21h30

Source : JT 20h Semaine

DÉSARROI - Face aux flammes qui rongent leurs terres et leurs maisons, les Grecs défendent leurs biens et organisent comme ils peuvent l'aide aux sinistrés. Une situation qui provoque la colère d'un peuple livré à lui-même.

Les jours s'enchainent et se ressemblent. Plongés dans une atmosphère apocalyptique, les Grecs continuent de se battre contre les brasiers qui ravagent leurs forêts, à Eubée notamment. Alors que cette lutte acharnée dure depuis plus d'une semaine sur cette île proche de la capitale, la stupeur laisse doucement place à la colère. Et avec elle, les critiques, de plus en plus acerbes, envers la réponse du gouvernement.

De simples tuyaux d'arrosage contre les flammes

C'est un peuple complètement à l'abandon qui transparait à travers les témoignages dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Parmi eux, un récit a particulièrement ému le pays. Celui d'un habitant de Galatsona, dans la partie nord de l'île embrasée d'est en ouest. Telle une figure allégorique nationale, il explique au micro d'une télévision locale comment il arrose incessamment "de l'après-midi au petit matin" sa maison "pour empêcher les flammes" d'y parvenir. 

"Je ne dors pas du tout", témoigne avec difficulté cet habitant touché d'une maladie pulmonaire. "Je n'ai pas peur pour moi, mais pour la maison", explique-t-il à la journaliste Evlambia Revi, qui, elle, lui répète qu'il doit partir, un ordre d'évacuation ayant été donné. À ce stade, plus de 3000 personnes ont été exfiltrées de l'île par la mer. "Pour aller où ?", lui rétorque-t-il immédiatement. Avant de s'effondrer en larmes dans les bras son interlocutrice, particulièrement émue. Sur Twitter, cette dernière a ensuite précisé que l'homme avait besoin de soins et d'aide "de la part de l'État et de sa famille".

Un témoignage particulièrement poignant qui ressemble malheureusement en tout point à ceux que l'on découvre dans la presse. Depuis plus d'une semaine, les Grecs racontent comment, désœuvrés, sans masques et en T-shirt, ils tentent d'asperger leur maison et leurs terres, souvent la seule richesse qui leur reste. Yiannis Katsikoyiannis, un volontaire venu de Crète, témoigne dans le quotidien grec Kathimerini de comment "les villageois eux-mêmes, avec les pompiers, font ce qu'ils peuvent pour sauver leurs propres villages et ceux des voisins". Venus lui-même pour aider son père à sauver son élevage de chevaux, il en est certain : s'il avait suivi l'ordre d'évacuation, "tout aurait été incendié, peut-être même deux jours plus tôt"

Idem du côté d'Athènes où Stelios Kokkinelis a, lui aussi, défendu sa maison, construite de ses propres mains, à l'aide de simples tuyaux d'arrosage. Après que les services d'urgence n'ont pas répondu à ses appels à l'aide, il a décidé d'ignorer l'ordre d'évacuation en se cachant "pour que la protection civile ne [le] trouve pas". "J'ai commencé à combattre l'incendie avec ma propre eau, sinon ma maison aurait disparu", souligne l'homme de 82 ans auprès de Reuters. "Si mon père n'était pas resté, notre maison aurait brûlé", confirme sa fille, Eirini. "Les pompiers n'étaient nulle part. Heureusement, il y avait des volontaires", lâche-t-elle, envahie par "la colère".

Au-delà de jouer eux-mêmes les soldats du feu, les Grecs doivent également répondre présents pour donner à la population des produits de première nécessité. Dans la ville d'Aidipsos, l'AFP a remarqué que des collectes s'organisaient pour les victimes qui ont tout perdu dans l'incendie. "Vous avez vu l'État nous offrir de l'eau ? Des goûters aux enfants ? Personne. Ils laissent les commerçants et les habitants donner de l'eau aux gens", regrette, furieux, Giorgos, auprès de l'agence.

De quoi embraser les colères. Et faire enfler la polémique, notamment sur le manque de moyens alloués par la Grèce à la lutte contre les incendies. À commencer par le vice-gouverneur de l'île ravagée par les flammes, qui a dénoncé des forces "insuffisantes". Des braises sur lesquelles souffle l'opposition. "Combien de temps ce drame va-t-il encore durer ?", a par exemple tweeté l'ancien Premier ministre Alexis Tsipras. "Le nord d'Eubée brûle depuis six jours. Les autorités locales et ses habitants crient qu'ils sont désespérément seuls", écrit le dirigeant de l'opposition de gauche, pourtant au pouvoir lorsqu'un incendie avait fait 102 victimes à l'est d'Athènes

Comme beaucoup, il dénonce aujourd'hui le manque de moyens aériens et terrestres. Une défaillance illustrée par les nombreuses photos des pompiers partagés sur les réseaux sociaux. Assoupis par terre sans avoir eu le temps de retirer leur uniforme ou épuisés sur le bord de la route, usés par le combat. Car après deux décennies d'une austérité qui n'a cessé de réduire les services publics, ceux dédiés à la lutte contre les incendies se retrouvent gravement affaiblis, selon Dimitris Stathopoulos, chef de la fédération des pompiers de Grèce. Pour lui, 5000 pompiers devraient d'ailleurs être embauchés urgemment.

Le gouvernement esquisse un mea culpa

En réponse au tollé, le gouvernement grec assure que "les forces terrestres et aériennes livrent une grande bataille, sans interruption". Ils sont d'ailleurs aidés par les renforts internationaux. Près de 1000 pompiers, neuf avions et 200 véhicules ont été envoyés en Grèce depuis d'autres pays européens. Mais les moyens aériens connaissent de "sérieuses difficultés" à cause des turbulences, des fumées épaisses et d'une visibilité limitée, a reconnu Nikolas Hardalias, vice-ministre de la protection civil. 

 

S'il défend son bilan en matière de protection civile, le gouvernent laisse cependant présager une forme de mea culpa. Après avoir appelé les Grecs à réfléchir "non seulement à ce qui a été perdu, mais aussi à ce qui a été sauvé lors d'une catastrophe naturelle sans précédent", le Premier ministre s'est excusé ce lundi 9 août. "Je demande pardon pour de possibles erreurs" qui ont pu être commises dans la réponse gouvernementale, a déclaré Kyriakos Mitsotakis dans une allocution télévisée, avant de promettre que tout échec serait identifié et que la responsabilité serait attribuée.

 

Quant à l'après ? Alors que les habitants de l'île d'Eubée, qui vivaient majoritairement de leurs petites récoltes et du tourisme, craignent d'avoir tout perdu, le gouvernement se réunit ce mardi après-midi pour décider du soutien qui sera apporté aux victimes des incendies ainsi que la manière de reconstruire ces  zones incendiées. En tout, plus de 93.700 hectares ont été ravagés depuis le 29 juillet selon le Système européen d'information sur les feux de forêts. 


Felicia SIDERIS

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