Incendies meurtriers en Grèce : une tragédie qui aurait pu être évitée

Publié le 26 juillet 2018 à 16h10, mis à jour le 30 juillet 2018 à 13h26

Source : JT 20h Semaine

DRAME - A l’heure de la douloureuse identification des corps des victimes des incendies en Grèce et de la recherche d'éventuels disparus, le débat sur les responsabilités de cette tragédie nationale enfle. Selon un bilan encore provisoire, au moins 82 personnes ont péri dans les flammes.

Lorsque les flammes ont traversé la large avenue de Marathon, le sort des vacanciers et résidents du village de Mati, quelques kilomètres plus au sud, était déjà scellé. Littoral bétonné, impasses, plan d’évacuation inexistant… Autant de raisons qui ont poussé les victimes à courir pour se sauver sans jamais savoir où se diriger. Autant de raisons qui permettent également d'expliquer le terrible bilan humain - au moins 82 morts - de la catastrophe.

Une urbanisation anarchique

Mati ressemble en tout point à ce qu’on peut trouver le long des côtes grecques : des plages paradisiaques, avec des hôtels et des résidences en bords de mer. Mais surtout un littoral urbanisé de façon anarchique, suivant des indications qui datent de 1960. Sur son compte Facebook, l’ancienne secrétaire générale aux Enquêtes environnementales grecques regrette que "toutes les catastrophes naturelles qui ont lieu ici (…) mettent en évidence la stupidité de nos choix de développement". Margarita Karavasili témoigne de cette course à l’urbanisation, qui date des années 90. 

Alors en charge du plan d’urbanisme de la municipalité de Nea Makri, dont fait partie la zone de Mati, elle raconte avoir fait face à des intimidations : "Je n’ai pas inclus la plus grande partie de la municipalité dans le plan de construction de la ville, en raison de son caractère forestier. J’ai alors eu d’énormes coups de pression et de menaces pour inclure dans ce plan certaines enclaves forestières. Ce que je n’ai évidemment pas fait !"

20 ans après pourtant, ces coups de pression ont l’air d’avoir porté leurs fruits. Selon le quotidien grec Kathimerini, les terres sans permis de construire dans les municipalités de Marathon et Rafina atteignent 10.000 hectares. Des données qui confirment ce que tous les Athéniens savent déjà : l'Attique est l'une des régions avec le plus d'établissements illégaux dans une zone boisée. Un fatras d’habitations, construites comme chacun le désire, et qui a fini par créer un ensemble d’impasses, de routes étroites, mal entretenues, voire inexistantes, et de chemins vers la mer détournés pour rejoindre des villas. 

Quant aux accès à la mer, ils n'existent pas réellement. Les victimes ont dû se ruer vers l'un des rares sentiers improvisés menant à la plage. Une vraie embuscade en cas d’incendie.

L''un des rares sentiers improvisés menant à la mer à Mati
L''un des rares sentiers improvisés menant à la mer à Mati - Googles Maps

L'un des rares sentiers improvisés menant à la mer à Mati

Un plan d’évacuation inexistant

"Je suis partie du mauvais côté, j’ai été bloquée sur l’avenue Marathon où on nous interdisait de passer !" En pleurs, une résidente de Mati a interpellé Panos Kammenos, le ministre de la Défense, arrivé sur place en début de journée. Les télévisions grecques ont filmé cette discussion durant laquelle cette femme s’en est prise au manque d’organisation. Affligée, elle témoigne du désarroi des victimes. "Aucune information, pas un seul camion de pompier, rien ! Vous nous avez laissés abandonnés à notre propre sort." 

Un témoignage fort qui reflète les graves dysfonctionnements qui ont eu lieu lundi, au début de l’incendie. De fait, la route de Marathon citée par cette habitante est un axe routier qui permet de quitter le littoral. Alors que les personnes fuyaient et que la route était fermée, elles se sont ruées vers Mati pour rejoindre la mer. Résultat : les véhicules se sont rentrés dedans sur la petite avenue du village, large d’à peine 10 mètres. C'est alors que le piège s’est refermé sur eux.  

Municipalités, préfectures, pompiers et forestiers se sont disputés au lieu d'organiser la lutte contre le feu
Kathimerini, l'un des principaux quotidiens grecs

Car ce qui apparaît aujourd’hui, c’est qu’aucun plan d’évacuation n’a été mis en place dans la zone. Plus alarmant encore, il est possible qu’il n’existe pas de plan prévisionnels, ni de simulation, en cas d’incendie. Ainsi le journal Kathimerini pointe du doigt les divers services impliqués. "Municipalités, préfectures, pompiers et forestiers se sont disputés au lieu d'organiser la lutte contre le feu", souligne le journal en s’appuyant sur les actes d'une réunion de coordination sur la prévention des incendies tenue en avril dans la région. 

Dans une zone où les feux ne sont pas rares, ces institutions ont donc une grande responsabilité. Aussi, le quotidien To Vima déplore, lui, qu’aucune leçon n’ait été tirée du passé. Il rappelle qu’après les incendies dévastateurs de 2007, qui avaient coûté la vie à 77 personnes, aucun modèle de simulation n’a fonctionné. Il regrette que la politique de protection civile soit inexistante dans le pays.  Et de dénoncer : "Désormais les citoyens ne peuvent pas se sentir confiants, au contraire, le feu provoque directement la panique."

Des forces de sécurité essoufflées par la crise

L’avenue de Marathon avait jusque-alors toujours servi de défense au littoral de l’Attique. Axe routier très large, il empêchait les flammes de progresser. Mais lundi, le feu, attisé par des rafales de vent atteignant 110 km/h, est passé sans difficulté. Aucun front de lutte ne l’en a empêché. Car avec 13 incendies déclenchés dans trois zones différentes de l'Attique, les pompiers devaient faire face à d’autres fronts. Une dispersion qui a été fatale : plusieurs médias grecs signalent une absence de coordination ayant entraîné un retard de plus d'une heure avant l'arrivée des premiers camions de pompiers dans l'ouest de l'Attique. 

Ce défaut d’organisation provient notamment des coupes dans les budgets dédiés à la lutte contre les incendies. L’AFP relève d'ailleurs que, selon les statistiques officielles, le budget des services de pompiers est passé de 452 millions d'euros en 2009 à 354 l'année dernière. Avec près d'un quart des financements retirés à cette lutte essentielle, les moyens étaient donc dérisoires face à l’ampleur des incendies.


Felicia SIDERIS

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