INTERVIEW - Depuis la prise de pouvoir des talibans, des milliers d'Afghans ont rejoint la vallée du Panshir où Ahmad Massoud, fils du célèbre commandant Ahmed Shah Massoud, entend mener la résistance au régime fondamentaliste. Le chercheur associé à l'IRIS, Karim Pakzad, revient sur la situation de cette partie du pays.
Si les talibans sont parvenus à la tête du pays le 15 août après une campagne militaire plus rapide que prévu, ils ne contrôlent pas encore tout le pays. Dans la vallée du Panshir notamment, au nord-est de Kaboul, des forces armées en déroute se sont regroupées pour opposer une résistance au régime fondamentaliste.
Ce Front national de résistance, mené par Ahmad Massoud, le fils du célèbre commandant Ahmed Shah Massoud, qui avait lui-même mené une résistance contre l'invasion soviétique, a pour objectif d'éviter que plus de sang ne soit versé et de promouvoir un nouveau système de gouvernement. Refusant d'abord tout compromis, les talibans ont annoncé avoir encerclé les combattants de la résistance autoproclamée et seraient finalement prêts à discuter. Retour avec le chercheur associé à l'IRIS, Karim Pakzad, sur l'importance de cette région.
Comment expliquer que la résistance en Afghanistan s’organise dans cette région du Panshir ?
C’est lié à la position géographique de cette vallée. La vallée du Panshir est extrêmement profonde, très longue, entourée de hautes montagnes, avec des accès particulièrement limités. Il est très difficile pour une armée ou n’importe quel groupe d'y entrer. C’était le cas pour les soldats soviétiques, ça l'est aujourd’hui pour les talibans. Ils contrôlent le pays, mais ils n’ont pas encore lancé d’offensives vers la vallée du Panshir.
Deuxièmement, cette région, depuis que le commandant Massoud a installé une résistance contre l’armée rouge, est devenue une vallée de résistance. Ils y entretiennent désormais une tradition de résistance, poursuivie cette fois-ci par son fils, Ahmad Massoud. C’est un homme extrêmement intelligent, et à 32 ans, l’héritier de son père.
La vallée du Panshir est très longue, entourée de hautes montagnes, avec des accès extrêmement limités
Karim Pakzad, chercheur associé à l'IRS
Est-ce que cela est également lié aux différentes ethnies qui composent la région ?
Toute affaire politique en Afghanistan est une affaire ethnique. Les talibans sont très majoritairement des Pachtounes, alors que la vallée de Panshir fait partie de l’ethnie tadjik. Ces deux ethnies ont toujours été rivales. Pas seulement contre l’invasion soviétique, mais également contre le nouveau régime mis en place. Désormais, ils ont des revendications politiques. Ils veulent l’instauration d’un gouvernement inclusif à Kaboul, avec des représentants de l’ensemble des ethnies en Afghanistan.
Ahmad Massoud est représentatif de sa génération. Il est éduqué, formé. C’est la raison pour laquelle il a annoncé qu’il est prêt à négocier avec les talibans, dans le cadre d'un gouvernement inclusif. Quelque part, on voit qu’il y a une évolution très importante par rapport au passé : Ahmad Massoud prend des positions quasiment laïques.
La mise en place d'un rapport de force
La vallée du Panshir a-t-elle les ressources nécessaires pour résister ?
Pour l'instant, la vallée du Panshir n'est encerclée par les talibans. Il n'y a pas encore de guerre entre les talibans et les résistants. Même si, il y a trois jours au nord, dans la province du Baghlan, trois districts ont été libérés par des combattants locaux. Ensuite les talibans ont contre-attaqués, et lundi, ils ont annoncé qu’ils avaient récupéré ces territoires. Mais voilà, le noyau d’une résistance commence à se mettre en place. En termes militaires, il n'est pas si mal armé. Plusieurs milliers des soldats d’élite afghans, qui n’ont pas pu se battre contre les talibans faute d’une hiérarchie appropriée, se sont réfugiés dans la vallée de Panshir. On parle même d’une vingtaine d’hélicoptères, des dizaines de chars, de voitures blindées, donc maintenant, c’est très difficile pour les talibans, d’attaquer la vallée de Panshir. Selon mes informations, 6000 combattants seraient regroupés dans cette région.
Aujourd’hui, on est devant une "invasion interne". Il ne s’agit pas de lutter contre une puissance étrangère, mais de lutter contre un mouvement islamiste et fondamentaliste qui essaye de gouverner l’Afghanistan. La résistance se fait de l’intérieur. C’est pourquoi, si jamais les talibans déclenchent une guerre contre la vallée du Panshir, il est alors tout à fait possible, que la résistance se mette en place partout dans le pays et les talibans le savent.
Les résistants vont appliquer la même stratégie que celles des talibans contre l’armée américaine, à savoir, une guerre de guérillas, en commençant d'abord dans des régions où les talibans sont plus faibles comme dans le Nord. La résistance au Panshir a une importance qui dépasse les frontières de la région et les talibans en ont bien conscience. Pour le moment, des deux côtés, les négociations sont donc privilégiées, mais le noyau est en place.
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