INTERVIEW - Après le "plaider coupable" de Michael Cohen, avocat et ami de Donald Trump et la condamnation de l'ancien chef de campagne du président américain, Paul Manafort, la position de Donald Trump semble mise à mal. Ce double coup dur judiciaire pourrait-il éclabousser le président américain ? On a posé la question au spécialiste de l'histoire américaine Corentin Sellin.
Ce n'est pas le premier revers judiciaire pour Donald Trump. Mais ce mardi 22 août, il fait parler de lui dans deux affaires. D'un côté son ancien avocat, et proche ami, Michael Cohen a accepté de plaider coupable devant un juge fédéral pour fraude fiscale et violation des lois sur le financement des campagnes électorales. Et de l'autre, Paul Manafort, son ex-chef de campagne, a été condamné pour fraude bancaire et fiscale. Les déboires judiciaires de ces deux membres du premier cercle de Donald Trump vont-ils éclabousser encore un peu plus le président des Etats-Unis, jusqu'à rendre sa position intenable ? On a posé la question à Corentin Sellin, professeur agrégé d'histoire spécialiste des États-Unis
LCI : Cette fois, le président des Etats-Unis est mis en cause par Michael Cohen pour financement illégal. Est-ce-qu’ il risque plus gros que d’habitude ?
Corentin Sellin : Oui, pour la simple et bonne raison que pour une fois, il est désigné, même si c’est de façon anonyme. Son ex-avocat parle en effet d’un "candidat à la Présidence". Il est donc désigné comme co-conspirateur d’un crime fédéral assez grave, et surtout d’un crime qui a visé à influencer les résultats de l’élection. A partir de ce moment-là, en tout logique, il devrait être interrogé et enquêté pour ce crime. Aujourd'hui, pour la première fois, on sort des "si" et des hypothèses.
La ligne de défense de la Maison Blanche consiste à dire que Cohen est inculpé pour des activités financières personnelles, qui n’ont donc rien à voir avec Donald Trump. Ces conseillers expliquent que si Cohen met en cause Trump, très touché certes, c’est pour avoir la clémence des procureurs fédéraux. Parce que depuis le début, la défense de la Maison Blanche, sur le sujet des paiements de l'actrice pornographique Stormy Daniels et de l'ancienne mannequin de Playboy Karen McDougal, est de dire que le candidat Trump versait un montant d’honoraires fixes à l’avance à son avocat, et que c’est ce dernier, avec cet argent, qui a payé les deux femmes. Donc ils se justifient en disant : "C’était un accord privé, fait sur des fonds privés, qui n’ont rien à voir avec des fonds de campagne électorale." En ajoutant évidemment que Trump n’aurait pas été à l’initiative et n’en avait d’ailleurs pas connaissance.
LCI : Quel est l’intérêt pour cet avocat, ancien proche de Donald Trump, de plaider coupable tout en refusant de coopérer avec Robert Mueller, le procureur spécial chargé de l'enquête russe?
Corentin Sellin : Plaider coupable et coopérer sont deux choses totalement différentes. Et là, j'y vois deux hypothèses : d’une part, quand on veut faire un accord de coopération, il vaut d’abord que les procureurs fédéraux y trouvent un intérêt pour leurs enquêtes. Et aujourd’hui, rien ne dit que Cohen possède assez d'informations sur Donald Trump pour intéresser Mueller. La seule chose qu'il a dit, c'est qu'il aurait été présent lorsque Trump Jr a averti son père de la réunion avec les Russes le 9 juin 2016. Sauf qu’il n’a aucune preuve, et aucun enregistrement. C’est assez léger.
La deuxième hypothèse est de se dire que les négociations portant sur une possible coopération sont encore en cours. En effet, l’avocat de Cohen a dit à la télévision américaine hier soir "Ah on a des trucs très intéressants sur l’affaire Russe". Donc Cohen cherche encore à montrer aux procureurs qu’il a en sa possession des informations qui pourrait lui permettre de faire réduire encore plus sa peine. Mais il faut comprendre un truc important qui vaut et pour Cohen et pour Manafort : si ces hommes-là ont des "billes" sur une éventuelle cohésion entre Trump et la Russie, on parle alors de haute trahison. Et dans ces cas-là, le FBI ne pourra pas offrir de réductions de peine en échange de ces informations car les détenir sans les révéler serait extrêmement grave. Dans tous les cas, les intérêts des deux partis sont contradictoires. L’un veut de grosses informations sur le président et l’autre une réduction de peine.
If anyone is looking for a good lawyer, I would strongly suggest that you don’t retain the services of Michael Cohen! — Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 22 août 2018
LCI : A chaque fois que Donald Trump se prend un revers judiciaire, on reparle de la possibilité d’un impeachment, la procédure permettant de destituer un haut fonctionnaire américain. Aujourd’hui, plus que précédemment, cette éventualité est envisageable?
Corentin Sellin : Ce qui est absolument certain, c’est qu’il n’y en aura pas avant le 3 janvier 2019, jour de la fin du mandat du Congrès, puisque Donald Trump y possède une majorité. Comme il l’avait lui-même dit avec exagération : "Je pourrais tiré sur quelqu’un sur la Cinquième Avenue que je ne serais pas destitué". Par contre, les élections de mi-mandat [pour élire les nouveaux représentants des deux chambres du Congrès des États-Unis, qui se tiendront en novembre, ndlr] sont en train de devenir une espèce de référendum sur l’impeachment. Les Démocrates vont se servir de ces histoires en disant "si vous nous donnez la majorité, on pourra lancer un acte d’accusation d’impeachment".
Et c’est là tout le problème pour Trump. On ne va parler que de ça pendant trois mois car il y aura forcément encore des rebondissements dans cette affaire. Par exemple Manafort va maintenant vouloir éviter la prison, ou réduire sa peine, et pourrait donc passer un accord de coopération avec Mueller, ou bien obtenir une grâce de Trump. Quoi qu’il en soit cette affaire est lancée et ne quittera pas le haut de l’affiche avant les élections. Ce qui éclipsera donc le bon bilan économique et diplomatique du président. Politiquement parlant, C’est une très mauvaise nouvelle pour Trump.
Donc à court terme, Donald Trump ne risque rien, par contre il risque d’y perdre gros dans trois mois, lors des élections, et dans six mois, lors de la nouvelle mandature du Congrès.
LCI : On imagine que malgré tout il a encore le soutien de sa base électorale?
Corentin Sellin : Absolument. Parce que la base électorale de Trump est dans un récit de la Présidence mû par un compte Twitter et Fox News. Pour eux, tout cela n’est que conspiration et complot des élites politiques et judiciaires, qui sont bien sûr des Démocrates, pour tuer politiquement Trump. Donc il est certain qu'eux font l’impasse sur ce sujet, et Trump garde son électorat blanc populaire de la working class.
En revanche, c’est une autre Amérique qui risque de se mobiliser massivement, notamment afin d'obtenir l’impeachment. Car aujourd’hui on est sur une ligne de césure entre deux récits politiques. D’un côté, l’axe Trump-Fox news, avec le récit d’une présidence qui réussit, qui a de bons résultats, et qui serait victime d’un complot. Et de l’autre, le récit d’une présidence corrompue, qui aspire à la dictature. Ces deux récits sont complètements contradictoires, et surtout ils sont ceux de deux Amériques qui ne se parlent plus. L'affrontement se fera aux élections de mi-mandat.
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