Mort de George Floyd : "Les tensions émergent là où les inégalités sont criantes"

Publié le 2 juin 2020 à 19h17

Source : Sujet TF1 Info

INTERVIEW - Elodie Grossi est maîtresse de conférence à l’Université de Toulouse, sociologue et historienne des questions raciales aux Etats-Unis. Pour LCI, elle évoque les récents événements liés à la mort de George Floyd.

Depuis une semaine, Les Etats-Unis sont secoués par de violentes manifestations dénonçant les brutalités policières et le racisme. L'embrasement a été déclenché par la mort de George Floyd, un homme noir asphyxié par un policier blanc à Minneapolis. Des scènes qui rappellent celles déjà observées dans le pays ces dernières années, comme nous l'explique Elodie Grossi, maîtresse de conférence à Toulouse et spécialiste des questions raciales aux Etats-Unis.

LCI - Los Angeles en 1965, Miami en 1980 ou 2014 à Ferguson… Aux Etats-Unis, la flambée de violence à Minneapolis s'inscrit dans une longue liste d'émeutes raciales. L'histoire se répète-t-elle ?

Elodie Grossi - Les problèmes liés à la gestion policière et les violences sécuritaires sont les mêmes à l'époque qu'aujourd'hui. Les inégalités raciales systémiques, les inégalités sociales sont toujours les mêmes dans ces quartiers afro-américains. Ce qui suscite de la frustration. Là où il y a une différence, c'est que nous sommes dans un contexte où Donald Trump utilise énormément les réseaux sociaux et va créer de nouvelles frustrations. Il utilise un vocabulaire extrêmement violent pour caractériser ces manifestations et ceux qui y participent, par exemple le terme "thug" ("voyou"). En outre, si on regarde le profil sociologique des manifestants, dans les années 1960 la grande majorité d'entre eux était des Afro-américains. Là, il s'agit d'une jeunesse composée de blancs, d'autres sont issus de la minorité latino ou encore de personnes appartenant au mouvement "Black Lives Matter", fondé en 2013. 

Pourquoi les présidents qui se sont succédé à la Maison Blanche depuis les années 1960 n'ont jamais résolu le problème des violences policières ?

En effet, dans l'affaire George Floyd, seul un policier a été interpellé, donnant le sentiment que les sanctions ne sont pas assez sévères. Idem dans le passé avec l'assassinat de Trayvon Martin en 2012, Michael Brown à Ferguson ou Eric Garner à New York en 2014… autant de cas où les policiers n'ont pas été interpellés, ce qui attise les frustrations. Pour autant, aucune mesure d'ampleur n'a été prise. Notamment car aux Etats-Unis, les forces de police ne sont pas organisées – contrairement à la France - au niveau national, mais local. Chaque ville gère ses effectifs. Washington n'a pas la main sur les effectifs de police municipale.

Les différentes émeutes raciales de ces dernières années se sont déroulées aux quatre coins des Etats-Unis, la plupart du temps dans des grandes villes. Pour quelles raisons ?

Outre les contextes sociaux, économiques, et politiques particuliers de ces villes, il s'agit surtout d'endroits où il y a une ségrégation résidentielle très forte. Ces tensions émergent là où les inégalités sont criantes, pas seulement en raison d'un événement précis comme ces jours-ci la mort de George Floyd. Les gens dans la rue sont ceux qui n'ont pas accès aux soins, à l'éducation au même titre que les citoyens blancs.  Dans les grandes villes, les ghettos se situent dans les centres – "inner city" –, devenant des zones urbaines souvent très négligées par les politiques urbaines successives. Et les banlieues, contrairement à la France, sont blanches. La différence est très ressentie, suscitant un sentiment d'abandon au sein de cette population.

Même Barack Obama n'aura pas enrayé ces inégalités très profondes
Elodie Grossi

Depuis cinquante ans, ceux qui se sont succédés à la Maison Blanche ont-ils mis de côté ces problématiques liées au racisme ?

Il y a eu des prises de position dans les années 1960, notamment le programme de la "Great Society" de Lyndon B. Johnson qui a pris à bras le corps ces questions. Il y a ensuite eu un tournant néo libéral dans les années 1980 avec Ronald Reagan : de nombreuses politiques sociales mises en place depuis le New Deal ont alors été cassées. Depuis, de manière systématique, ces quartiers ont souffert, les inégalités se sont accrues. On parle beaucoup de Barack Obama et d'Amérique post raciale. Certes, son arrivée à la Maison Blanche a constitué un symbole, celui du premier président noir, mais finalement même lui n'aura pas enrayé ces inégalités très profondes.

Le contexte dans lequel a eu lieu la mort de George Floyd – l'Amérique de Donald Trump, et depuis deux mois une crise sociale et économique liée au Covid-19 – a-t-il joué un rôle dans les émeutes en cours ?

Il y a effectivement eu plusieurs facteurs. Depuis les années 2010, il y a une continuité : certes la mort de George Floyd, mais aussi le meurtre de Ahmaud Arbery le 23 février en Georgie. Concernant Donald Trump, depuis son entrée à la Maison Blanche il s'est entouré de gens comme Steve Bannon, en lien avec l'extrême droite et ayant des ramifications avec les mouvements suprémacistes blancs. Donald Trump est très polarisant. Ces protestations interviennent à la fin de son mandat, comme s'il s'agissait d'une forme de défiance à son vocabulaire et la criminalisation intensive des minorités de la part de son administration. 

Le Covid-19 est évidemment à prendre en compte : énormément de manifestants ont perdu leurs emplois, et donc leur couverture santé. Ils sont dans une spirale, eux qui ont souffert de cette crise sur le plan sanitaire, social et économique et descendent dans la rue, le plus souvent pacifiquement.


Thomas GUIEN

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