Iran : la chanson "Baraye" devient l'hymne des manifestants, son auteur poursuivi

Maëlane Loaëc (avec AFP)
Publié le 4 octobre 2022 à 17h11

Source : TF1 Info

Shervin Hajipour, un des musiciens iraniens les plus populaires du pays, a mis en ligne un titre citant des messages publiés par les protestataires.
Reprise lors des rassemblements, "Baraye" a été visionnée et partagée des millions de fois sur Internet.
Quelques jours après avoir été arrêté, l'auteur-compositeur a été libéré mardi sous caution.

En une semaine à peine, une simple chanson a été propulsée au rang d'hymne des manifestants iraniens, tandis que pour la troisième semaine consécutive, le pays s'embrase. La mort de Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans décédée trois jours après son arrestation pour infraction au code vestimentaire strict de la République islamique, a déclenché une vague de contestation en Iran, violemment réprimée par le régime. Les protestataires entonnent depuis quelques jours un titre du musicien Shervin Hajipour, l'un des plus populaires du pays et lui-même arrêté par les autorités iraniennes, avant d'être libéré ce mardi. 

Mise en ligne la semaine passée, "Baraye" est rapidement devenue virale, écoutée 40 millions de vues en 48 heures, comme le relève sur Twitter Karim Sadjadpour, chercheur au sein d'un groupe de réflexion américain Carnegie Endowment. Ses paroles recoupent sous la forme d'une longue liste des messages d'Iraniens postés sur Twitter, où ils laissent exploser leur colère. Chaque vers commence par "Baraye", qui signifie "pour" ou "à cause de" en persan. Repris en chœur par des manifestants, diffusé depuis les fenêtres des voitures, chanté par des écolières et même entonné lors de rassemblements à l'étranger, à Washington, Londres ou encore Strasbourg, le titre est partout, relève The Guardian.

Le chanteur libéré sous caution

Mais son compositeur, un chanteur pop iranien âgé de 25 ans à peine, aurait été arrêté le 29 septembre, quelques jours après avoir sorti "Baraye". L'agence de presse ultra-conservatrice Tasnim a indiqué mardi que le jeune homme avait été arrêté "pour avoir manifesté son soutien aux émeutiers et sa solidarité avec les ennemis en publiant la chanson sur les réseaux sociaux sans en obtenir l'autorisation". Shervin Hajipour a été libéré mardi, a annoncé un procureur local de la province septentrionale de Mazandaran à l'agence officielle Irna, précisant qu'il continuait de faire l'objet d'une procédure judiciaire. 

Sa chanson, quant à elle, a été supprimée de son compte Instagram, qui cumule plus d'1,7 million d'abonnés. Selon ses proches, le musicien aurait agi sous la contrainte. Le titre aurait aussi été enregistré au nom d'un autre compositeur, ce qui a permis un dépôt de plaintes pour violation de droit d'auteur et donc son retrait de plusieurs plateformes. La vidéo reste toutefois largement partagée et téléchargée sur YouTube, toujours diffusée dans les rues et reprise par de jeunes Iraniens qui se filment en l'interprétant.

"Cette (chanson) a cassé les réseaux sociaux persans ce soir. Nous sommes si nombreux à avoir pleuré en l'écoutant encore et encore. L'artiste Shervin Hajipour a résumé la profonde tristesse et la douleur nationale que les Iraniens ressentent depuis des décennies et qui a culminé avec la tragédie de #MahsaAmini", a déclaré Bahman Kalbasi, correspondant de la BBC. 

"Une chanson sur les rêves iraniens d'une vie normale"

Si les paroles renvoient à la situation des femmes dans le pays ("Pour ma sœur, ta sœur, nos sœurs", mais aussi "Pour les femmes, la vie, la liberté", slogan des manifestations), elles fustigent plus largement un "paradis forcé", en reprennent tous les griefs des protestataires, qui critiquent dans son ensemble la politique du président ultra-conservateur Ebrahim Raïssi et le manque de perspectives des Iraniens, en particulier les plus jeunes ("pour danser dans les rues, pour embrasser les êtres chers", "pour les étudiants", "pour l'avenir"...). 

"Quel que soit le sort réservé aux manifestations, il convient de noter que la chanson la plus virale de l'histoire de l'Iran, dont on se souviendra probablement pendant des décennies, ne porte pas sur la résistance à l'Amérique, à Israël ou à tout autre pays. C'est une chanson sur les rêves iraniens d'une vie normale", a commenté Karim Sadjadpour. 

Son succès est tel que certains espèrent même que la chanson soit nommée pour un Grammy dans la catégorie Meilleure chanson pour le changement social, une campagne est en cours. De son côté, le gouvernement iranien aurait tenté de la détourner : dimanche, l'agence de presse ultra-conservatrice Tasnim avait publié sa propre version du clip vidéo sur Telegram, en gardant la voix de Shervin Hajipour mais en changeant les images qui l'accompagnaient pour vanter les réalisations de la République islamique.

Depuis le début des manifestations, plus d'un millier de personnes ont été arrêtées, dont des artistes, militants, avocats et journalistes, selon des ONG. Au moins 92 personnes ont été tuées, selon l'association Iran Human Rights, basée à Oslo, tandis que les autorités avancent un bilan d'environ 60 morts parmi lesquels 12 membres des forces de sécurité. Ces mobilisations sont les plus importantes en Iran depuis celles de novembre 2019, provoquées par la hausse des prix de l'essence, qui avaient été sévèrement réprimées : 230 morts selon un bilan officiel, plus de 300 selon Amnesty International.


Maëlane Loaëc (avec AFP)

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