IMMIGRATION - Domenico Lucano avait fait le pari de l'accueil des réfugiés pour redonner vie à son village du sud de l'Italie, Riace. Plusieurs fois récompensé et salué pour son action, l'édile a été arrêté et confiné à domicile : les autorités italiennes le soupçonnent d'aide à l'immigration clandestine.
A la fin des années 90, Domenico Lucano a été l'un des premiers à parier sur l'accueil des réfugiés pour repeupler les villages isolés. Et en premier lieu, le sien : Riace, moins de 900 habitants à l’époque. Une politique qu’il a poursuivie après avoir été élu maire. Seulement voilà, les autorités le soupçonnent aujourd’hui d’être allé trop loin et d’avoir favorisé l’immigration clandestine.
Le parquet de Locri a ordonné un placement aux "arrêts domiciliaires" contre l’édile, également accusé d'irrégularités dans l'octroi des financements pour le ramassage des ordures de son village, détaille un communiqué des autorités judiciaires.
Lucano ha salvado su pueblo de Calabria acogiendo a refugiados. Para 'Fortune' es uno de los 50 líderes mundiales https://t.co/lDrndZyaWe — Mariangela Paone (@mapaone) 2 avril 2016
Un village modèle
Tout commence par une belle histoire, celle d'un village intimement lié à l’immigration depuis 1998. Cette année-là, un bateau transportant 300 kurdes échouent au pied de Riace. Avec d’autres habitants, Domenico Lucano décide de leur venir en aide en leur offrant le gîte et le couvert. Un an plus tard, il créé l’association Città Futura (ville du futur, en français). Objectif : rénover les maisons abandonnées pour y loger des migrants, leur offrir une formation et dans le même temps redonner vie au village. La structure reçoit l’aide de l’Etat et de l’Union européenne.
Le temps que leurs démarches administratives avancent, les migrants arrivés dans ce petit village reçoivent une petite allocation qui comprend une aide juridique, des soins, des vêtements, les frais d’hébergement. Ils doivent en échange apprendre l’italien et suivre une formation professionnelle. Le village arrive ainsi à revaloriser les métiers artisanaux traditionnels avec l’aide des anciens et surtout à repeupler et dynamiser le village. En 2004, Domenico Lucano devient maire et poursuit ce projet d’intégration.
En 20 ans, des dizaines d'Afghans, Erythréens ou Irakiens se sont installés, repeuplant le village et son école, attirant même le tourisme en rouvrant des ateliers d'artisanat local main dans la main avec des anciens du village.
Une démarche donnant-donnant qui a valu à l’édile de gauche d’être reconnu "troisième meilleur maire du monde" en 2010, puis d’être cité parmi les 100 personnalités les plus influentes par le magazine Fortune en 2016. M. Lucano a également inspiré un docu-fiction de Wim Wenders.
Accidenti, chissà cosa diranno adesso Saviano e tutti i buonisti che vorrebbero riempire l’Italia di immigrati! #Riace https://t.co/Ae1ROuMwA8 — Matteo Salvini (@matteosalvinimi) 2 octobre 2018
Quelques libertés avec la justice
Qu’a donc fait ce maire modèle calabrais pour tomber de ce piédestal ? Le communiqué des autorités judiciaires cite des extraits d'écoutes téléphoniques dans desquelles Domenico Lucano semble effectivement agir, en connaissance de cause, contre la législation en vigueur dans le domaine migratoire, qualifiée de "stupide".
"Je vais vous faire la carte d'identité, je suis hors-la-loi, je suis hors-la-loi car pour faire la carte d'identité je devrais avoir un permis de séjour encore valable. En plus vous devriez démontrer que vous résidez à Riace, que vous avez une habitation à Riace, (...) j'assume la responsabilité et je vous dis que ça va", dit-il ainsi à une femme étrangère dans une conversation enregistrée par les enquêteurs.
Dans une seconde conversation citée, il suggère à une Nigériane un mariage blanc. "Vous savez quelle est selon moi la seule possibilité? Que vous vous mariez, comme a fait Stella. Stella a épousé Nazareno, je suis responsable de l'état civil, le mariage avec un citoyen italien je le célèbre tout de suite", dit-il.
Dans un contexte migratoire plus que tendu en Italie, l’arrestation de M. Lucano a enflammé – et divisé – le pays.