L'Ukraine contre-attaque : comment ce revers est vécu en Russie

Publié le 12 septembre 2022 à 14h27

Source : TF1 Info

L'armée ukrainienne a annoncé, lundi matin, avoir repris "plus de 20 localités" à la Russie en 24 heures.
Un lourd revers qui fragilise la propagande officielle du Kremlin.
Les médias d'État ont ainsi, de façon inhabituelle, admis que les forces russes avaient subi des pertes.

C'est un sujet hautement délicat pour les médias d'État russes. Lundi 12 septembre au matin, l'Ukraine a affirmé avoir repris "plus de 20 localités à la Russie" dans la région de Kharkiv, dans le nord-est du pays, lors d'une vaste contre-offensive. Selon l'Institut pour l'étude de la guerre (ISW), basé à Washington, les Ukrainiens ont repris en cinq jours "plus de territoires que les Russes n'en ont conquis dans toutes leurs opérations depuis avril"

Un revers de taille pour les soldats du Kremlin, également sous pression dans le Donbass et le littoral sud, qui met dans l'embarras ces organes de presse, chargés de relayer la propagande du Kremlin pour justifier l'invasion de l'Ukraine et montrer la puissance du pays. Ainsi, fait particulièrement inhabituel, certains ont admis, ces dernières heures, des pertes russes

Le malaise des médias d'État

"Je voulais juste dire que tous ceux qui sont croyants devraient prier pour nos gars", a déclaré vendredi Anton Anisimov, l'animateur du talk-show politique de la chaîne sportive russe Match TV. "Nous devrions prier pour que nos hommes qui sont là-bas tiennent le coup", a-t-il martelé dans un extrait de son émission partagé sur Twitter par Francis Scarr, de BBC Monitoring, qui traduit les médias étrangers. 

Vitaly Ganchev, le plus haut responsable russe dans les parties occupées de la région de Kharkiv, a concédé de son côté, sur la principale chaîne de télévision nationale, Pervy Kanal (ou "Première chaîne") que les forces ukrainiennes avaient remporté une "victoire significative" et percé la ligne de défense russe. Le blogueur militaire Yuri Podolyaka, invité régulier de la chaîne, a admis à l'antenne que l'armée ukrainienne avait progressé, et affirmé que la Russie avait "cédé des territoires significatifs" à Kiev. Il a toutefois assuré que la Russie pourrait transformer son revers en "gros problèmes" pour les forces armées ukrainiennes.

De son côté, Olga Skabeyeva, la présentatrice de la Première chaîne, fervente partisane du chef du Kremlin et clairement favorable à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, a réagi à la reprise par les forces de Kiev de la ville de Balakliya, dans la région de Kharkiv, en évoquant la perspective d'une guerre nucléaire. Elle s'est ainsi interrogée : "Comment, qui, et dans quelles circonstances, et en utilisant quelles méthodes, l'[Ukraine] prévoit et espère vaincre une puissance nucléaire ?"

Le présentateur vedette de Pervy Kanal a quant à lui tenté de minimiser les pertes, assurant que le retrait des militaires russes dans la région de Kharkiv était une opération de "regroupement".

Ce revers de l'armée russe a toutefois provoqué la colère des blogueurs pro-guerre, qui utilisent désormais leurs chaînes Telegram pour critiquer l'action des forces du Kremlin, détaille le Guardian. Certains parmi les plus influents estimant même que "nous avons déjà perdu, le reste n'est qu'une question de temps" quand d'autres appellent Vladimir Poutine à déclarer la "mobilisation générale". De son côté, sur sa chaîne Telegram aux 2,3 millions d'abonnés, Yuri Podolyaka, a déclaré vendredi que si l'armée continuait à minimiser ses revers sur le champ de bataille, les Russes "cesseraient de faire confiance au ministère de la Défense et bientôt au gouvernement dans son ensemble", détaille le New York Times.

Les blogueurs pro-guerre "sont certainement de plus en plus en colère, et pour une bonne et évidente raison, surtout que le fossé entre la ligne officielle et la réalité sur le terrain se creuse", détaille dans le journal britannique Mark Galeotti, un expert des affaires de sécurité russes. Selon l'Institut pour l'étude de la guerre, l'annonce du retrait des forces russes, "a encore un peu plus agacé les communautés de blogueurs et nationalistes qui soutiennent la vision grandiose du Kremlin de s'emparer de la totalité de l'Ukraine".

Représailles

Plus inquiétant pour Moscou, l'une des figures de la guerre en Ukraine, le chef des forces tchétchènes, l'influent Ramzan Kadyrov, dont des centaines d'hommes se battent en Ukraine, a largement critiqué la situation. Dans un message publié dimanche, celui qui dirige d'une main de fer cette entité de la Fédération de Russie a affirmé qu'il allait contacter les hauts responsables du ministère de la Défense pour faire passer son message : "Il est clair que des erreurs ont été faites. Je pense qu'ils vont devoir en tirer quelques leçons", a-t-il écrit avant d'estimer que les soldats russes n'ont "pas la formation militaire appropriée", ce qui les a forcés à battre en retraite à Kharkiv.

Ces nouvelles critiques de l'extrême-droite nationaliste, qui soutient pourtant l'opération de Vladimir Poutine, pourrait fragiliser le chef du Kremlin, alors qu'il est visé par deux appels à la destitution. Si ces initiatives n'ont aucune chance d'aboutir, elles sont le symbole d'une certaine lassitude en Russie face à une campagne militaire qui s'enlise depuis six mois. Comme le détaille Le Monde, ces deux appels ont été déposés vendredi 9 septembre par deux députés municipaux à Saint-Pétersbourg puis Moscou. Les élus estiment ainsi que Vladimir Poutine a failli et que les hostilités en Ukraine "nuisent à la sécurité de la Russie et de ses citoyens". Une déclaration publiée sur Twitter par l'un de ses auteurs, Dmitry Palyuga.

Face à cette situation, Moscou a tenté de calmer le jeu, avançant que le retrait de Kharkiv entrait dans une stratégie de redirection des efforts militaire russes dans la région de Donetsk, détaille CNN. Les autorités ont également affirmé, lundi, avoir bombardé des zones dans la région de Kharkiv qui ont été reconquises par les forces de Kiev. "Dans les zones des localités de Koupiansk et d'Izioum, des combattants et des équipements de la formation nationaliste 'Kraken', de la 113e brigade de défense territoriale et de la 93e brigade mécanisée ont été touchés", a déclaré le porte-parole du ministère russe de la Défense dans un communiqué.

Par ailleurs, les autorités russes ont assuré que l'offensive engagée depuis février dernier allait continuer "jusqu'à ce que les objectifs soient atteints". Il n'y a actuellement "pas de perspective de négociations" entre Moscou et Kiev, a ajouté Dmitri Peskov.


Annick BERGER

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