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La crise au Sri Lanka est-elle la "conséquence de la volonté de faire du 100% bio" ?

Publié le 11 juillet 2022 à 18h52, mis à jour le 11 juillet 2022 à 20h41

Source : JT 20h WE

Certains opposants au bio accusent "l'écologie punitive" de "créer de grands désordres dans le monde".
Dimanche, Marine Le Pen a affirmé que la transition vers le 100% biologique est à l'origine de la crise au Sri Lanka.
C'est un raccourci mensonger.

La question serait passée sous silence par "les médias français". Souhaitant critiquer "l'écologie punitive", à l'origine de "grands désordres dans le monde", Marine Le Pen a cité l'exemple du Sri Lanka. Selon l'élue du Rassemblement national, la crise actuelle dans ce pays serait "la conséquence de la volonté de faire du 100% biologique sur le plan de l'agriculture", a-t-elle plaidé ce dimanche 10 juillet sur BFM TV.

Un argument entendu également au sein de la majorité présentielle. Face aux députés ce lundi, Aurore Bergé (LaRem) a critiqué le programme écologique de la Nupes, qui prendrait en exemple "la déliquescence du Sri Lanka". Alors, le bio a-t-il réellement entraîné "un pays entier dans la misère"

Des causes bien plus anciennes

Pour Jean-Joseph Boillot, les choses sont claires. Cette théorie est "étrange". Chercheur associé à l'Iris, spécialiste des grands pays émergents et tout particulièrement du monde indien, il expliquait en juin dernier les causes de la crise dans le pays. Et celles-ci sont bien plus profondes et structurelles que "le bio".

Tout d'abord, il faut rappeler que l'agriculture du Sri Lanka est très largement tournée vers l'exportation - notamment de thé - au détriment de l'agriculture, consacrée à sa propre population. Résultat, malgré ses terres agricoles, le pays est "de plus en plus dépendant des importations de nourriture", comme le souligne le spécialiste. Automatiquement, les recettes liées à l'exportation sont restées anecdotiques face à la facture des produits venus d'ailleurs. De quoi faire grimper en flèche son endettement extérieur, qui dépasse désormais 70% du PIB, d'après les données de la Banque mondiale.

Pour faire perdurer ce système fragile, l'économie sri-lankaise "s'est entièrement tournée vers le tourisme industriel", comme l'explique le chercheur de l'Iris, "au détriment de son monde paysan et de son autonomie alimentaire". Sauf qu'en quelques années, ce secteur - première source de devises étrangères - s'est effondré. En 2019, la vague d'attentats ciblant églises et hôtels a signé l'arrêt net de ce secteur d'activité. Qui n'a jamais repris. En 2020, l'épidémie de Covid-19 a "vidé l'île de ses touristes pendant deux ans". Résultat, en deux ans, les ressources touristiques du pays ont été divisées par cinq, comme le montre le graphique ci-dessous.

Recettes du tourisme international au Sri Lanka (en dollars), de 2011 à 2020
Recettes du tourisme international au Sri Lanka (en dollars), de 2011 à 2020 - World Bank

Quant aux recettes internes, elles n'ont cessé de diminuer. Le "système clanique" en place jusqu'en 2009 s'est "traduit par des pertes importantes de recettes budgétaires liées aux cadeaux fiscaux aux amis du pouvoir et l'enracinement d'un capitalisme de connivence au sein du pouvoir", comme l'a résumé Jean-Joseph Boillot sur le site de l'Iris. "Par conséquent, la fragilité fiscale et l'endettement extérieur se sont petit à petit creusés." À partir de 2009, "l'ensemble des mesures prises par un régime qu'on peut qualifier de 'populiste' ont engendré d'importantes fragilités économiques". D'une part, à cause du rapprochement avec la Chine, et ses "nombreux projets d'infrastructures à grande échelle" ; de l'autre, à cause des importantes réductions d'impôts introduites en 2019 par le président Gotabaya Rajapaksa. D'après le ministre des Finances, Ali Sabry, celles-ci ont fait perdre plus de 1,4 milliard de dollars par an au pays. Avec la réduction des impôts et l'arrêt du tourisme d'un côté, et les subventions inabordables et l'explosion des importations de l'autre, les caisses de l'État ont fondu comme neige au soleil. 

Le 100% bio, une stratégie pour sauver la face

C'est dans ce contexte que, fin avril 2021, le président Gotabaya Rajapaksa a décidé de passer au 100% bio. Sous couvert de faire du pays un exemple pour le monde, cette "solution miracle" était en fait une manière de réduire fortement les importations d'engrais. Et, de fait, réduire la dette extérieure. Les économies du pays étaient donc déjà en très mauvais état au moment de cette décision. Tout comme elles étaient en mauvais état avant le conflit russo-ukrainien. Celui-ci a en réalité eu "un effet d'accélérateur de tendances avec la hausse générale des prix des matières premières énergétiques et alimentaires". Si bien qu'un an après, en mai dernier, le pays n'a pas pu rembourser sa dette extérieure pour la première fois de son histoire.

En résumé, le lancement en urgence du 100% bio – initialement prévu sur dix ans – est l'une des conséquences de la crise économique du pays. Pas une cause, contrairement à ce qu'affirment Aurore Bergé et Marine Le Pen.

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Felicia SIDERIS

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