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La France, pays "colonialiste" qui "exploite l'Afrique" ? Les accusations trompeuses de Meloni

Publié le 22 novembre 2022 à 17h22

Source : JT 13h WE

Dans une vidéo devenue virale, Giorgia Meloni critique la présence de la France en Afrique.
La séquence remonte en réalité à 2019.
L'actuelle Première ministre italienne y multiplie les fausses informations et les idées reçues à propos du franc CFA.

Le duel ne ferait que commencer entre Paris et Rome. Alors que le sort réservé à l'Ocean Viking a ouvert une crise diplomatique entre les deux pays, certains affirment que Giorgia Meloni est en train de mener un combat féroce contre la politique française. Dans une vidéo publiée vendredi 19 novembre, la Première ministre multiplie les accusations contre la France et sa présence en Afrique, sous les applaudissements du public. Une séquence devenue virale, cumulant 12 millions de vues, qui servirait de "leçon" à Emmanuel Macron. Nous l'avons vérifiée. 

Une vidéo qui remonte à janvier 2019

Tout d'abord, il est important de souligner que cet extrait n'est pas récent. S'il a été propulsé, durant le week-end, sur les réseaux sociaux pour faire croire à une escalade des tensions entre Paris et Rome, l'intervention remonte en réalité à 2019. On en retrouve la trace le 21 janvier sur le compte Twitter de Giorgia Meloni et sur la chaine YouTube du parti d'extrême droite qu'elle dirige, Fratelli d'Italia. Rien à voir avec le bras de fer actuel autour de l'accueil des rescapés de l'Ocean Viking. 

Voilà pour la forme, mais quid du fond ? Dans cette vidéo mise en ligne vendredi par l'extrême droite américaine, Giorgia Meloni est particulièrement remontée. Face au présentateur de la chaine italienne LA7, elle déplie un franc CFA. Et accuse la France d'utiliser cette "monnaie coloniale" pour exploiter "14 nations africaines". Plus précisément, elle affirme (en italien dans la vidéo) que Paris "imprime" cette monnaie contre "50%" des richesses liées aux exportations de ces pays. L'actuelle Première ministre italienne cite alors l'exemple du Burkina Faso, où l'or fait partie des principaux produits exportés. Et de lancer, en hurlant : "L'or, pour lequel cet enfant se glisse dans un tunnel, finit en grande partie dans les caisses de l'État français !" Un argumentaire implacable pour celle qui souhaite démontrer que les vagues migratoires prennent leur origine dans la spoliation par "certains Européens" du continent africain.

Sauf que l'intégralité de son raisonnement est trompeur. À commencer par l'idée d'une "monnaie coloniale". Effectivement, le franc CFA est un héritage du passé colonial de la France. Créé en 1945 après la signature des accords de Bretton Woods, il est littéralement le franc des "Colonies Françaises d'Afrique". Depuis 1960, cette abréviation signifie cependant "Communauté Financière Africaine". Une histoire qui alimente les fantasmes. Comme le relevait en septembre 2020 un rapport sénatorial sur la question, "le contexte de création des francs CFA et son effet sur les imaginaires collectifs perdurent encore aujourd'hui et affectent fortement la manière de percevoir la coopération monétaire avec la France". Mais en réalité, le franc CFA est aujourd'hui émis par deux banques centrales complètement indépendantes. La BCEAO pour l'Afrique de l'Ouest – où seuls deux représentants français siègent, sans droit de véto - et la BEAC pour l'Afrique centrale, qui n'a plus de représentants français depuis 2019.

Alors, quel est désormais le rapport entre cette monnaie et la France ? Comme le précise le site de la Banque de France, ce système repose actuellement sur deux piliers. Premièrement, un taux de change fixe entre le franc CFA et l'Euro. Deuxièmement, les 14 pays membres ont la garantie "inconditionnelle et illimitée" du Trésor français, qui s'engage à financer les banques centrales "en cas d'épuisement des réserves de change". 

Des banques centrales indépendantes de Paris

Qu'en est-il de cette idée selon laquelle la moitié de richesses de ces pays arriveraient directement dans les caisses du Trésor français ? Là aussi, Giorgia Meloni diffuse une rumeur qui n'est pas nouvelle, celle d'un "impôt colonial". En fait, pendant plusieurs décennies, en contrepartie des avantages du système exposé plus haut, les 14 pays qui utilisaient le franc CFA devaient "déposer au moins 50% de leurs réserves de change sur un compte courant au Trésor français". Cela ne signifiait pas du tout que la France récupérait la moitié de ces ressources, puisque les sommes déposées l'étaient sur des comptes librement accessibles par les pays. Le Trésor français ne possédait pas cet argent, pas plus qu'une banque ne possède l'argent que vous déposez sur votre compte. Il ne s'agit donc pas d'un "impôt colonial" versé par les pays membres, mais d'un dépôt, dont les intérêts leur sont reversés. À noter que, depuis 2019, cette obligation a été abrogée pour les huit pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine.

Pour finir, reste la question de l'exploitation des mines d'or, dont les richesses reviendraient principalement à la France. Là encore, Giorgia Meloni fait fausse route. En 2020, le Burkina Faso a en effet exporté 7,19 milliards de dollars d'or. Mais la destination principale de ce matériau précieux n'est pas la France. D'après une visualisation de l'Observatoire de la complexité économique à partir de données ouvertes, ces exportations profitent en priorité à la Suisse, à l'Inde, à l'Ouganda, aux Émirats arabes unis et à la Belgique. Reste que cette question est effectivement très problématique dans le pays. Comme le relevait sur France 24 le chercheur burkinabé Tongnoma Zong, "l'or représente 70% des exportations du pays, mais il ne contribue qu'à hauteur de 11% du PIB national". Preuve que cette exploitation profite avant tout aux entreprises étrangères. 

En résumé, la séquence devenue virale ce week-end multiplie les rumeurs et les contre-vérités. Si certains décrivent le franc CFA comme à l'origine d'une "croissance inclusive" et que d'autres critiquent une monnaie "dépendante à la zone euro", les arguments avancés en 2019 par la Première ministre italienne sont faux. Il ne s'agit pas d'une monnaie "colonialiste" qui permettrait de récupérer la moitié des richesses du continent africain. Si le débat sur la place de la France sur le continent est encore vif, il convient de l'avoir en dehors de toute "géopolitique des émotions", pour reprendre le vœux formulé en 2020 par l'ancien ministre italien Mario Giro. 

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Felicia SIDERIS

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