La Moldavie, qui souhaite rejoindre l'UE, fixe-t-elle le Smic à moins de 50 euros mensuels ?

Publié le 19 juin 2022 à 18h49

Source : Sujet JT LCI

La Commission européenne a donné son feu vert aux candidatures d'adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie.
Cette perspective laisse des observateurs dubitatifs en raison du faible développement économique des deux pays.
Il est exact de souligner qu'en Moldavie, le salaire minimum ne dépasse pas 50 euros, soit près de 7 fois moins qu'en Bulgarie.

Ce vendredi 17 juin, la Commission européenne s'est dite favorable à ce que deux nouveaux pays puissent officiellement se porter candidats à une adhésion à l'Union européenne. Il s'agit de l'Ukraine - en proie à l'agression de son voisin russe - et de la Moldavie, ancienne république soviétique d'Europe orientale où vivent aujourd'hui près de 2,6 millions d'habitants.

Si d'un point de vue symbolique, de nombreuses personnalités politiques ont affiché un soutien à ces deux adhésions, des voix s'élèvent pour mettre en garde contre les risques que ferait planer un nouvel élargissement de l'UE. Le salaire minimum dans ces deux pays est, par exemple, mis en avant pour illustrer le retard économique des candidats. La Moldavie, peut-on lire, ne fixe son salaire minimum qu'à 50 euros. C'est vrai, comme le montrent des rapports de l'Organisation internationale du Travail.

Un retard à combler

Lorsqu'un pays souhaite intégrer l'UE, il lui faut respecter plusieurs critères, dits "de Copenhague". Ils incluent par exemple le respect de l'État de droit, l'indépendance de la justice, mais aussi une lutte active contre la corruption. Sur le plan économique, il s'agit aussi de pouvoir assumer les conséquences d'une adhésion, notamment au niveau de la concurrence des entreprises. Si de multiples critères sont étudiés, l'Union s'interroge aussi sur sa capacité à négocier l'arrivée en son sein d'un membre supplémentaire. En évitant, par exemple, qu'une main-d'œuvre très peu chère en provenance du nouvel entrant déséquilibre le marché du travail des pays membres. Éviter, en somme, ce que l'on nomme généralement le dumping social.

Divers indicateurs sont brandis par ceux qui mettent aujourd'hui en garde contre les répercussions d'une adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie. À commencer par les niveaux respectifs de leur salaire minimum, qui serait beaucoup trop bas par rapport à celui observés parmi les États membres. L'Organisation internationale du Travail OIT, dans son rapport mondial sur les salaires 2020-21, nous permet de mieux analyser les différents pays entre eux. Et de constater que selon les dernières données recensées, la Moldavie fixait à 1000 lei la rémunération mensuelle minimale. Soit à peine 50 euros. En Ukraine, elle est de 4173 hryvnias, soit un peu moins de 140 euros. Actuellement, à titre de comparaison, la Bulgarie présente, parmi les membres de l'UE, le Smic le plus faible, à environ 330 euros.

Afin de réaliser des comparaisons plus justes, tenant compte notamment des niveaux de prix dans les différents pays, l'OIT propose de présenter les salaires minimums en "parité de pouvoir d'achat", en dollars. Les montants évoluent légèrement, (172 dollars pour la Moldavie, 589 pour l'Ukraine), mais l'on reste loin des standards observés au sein de l'UE. S'il fallait résumer, les deux pays seraient aujourd'hui ceux, en Europe, avec le plus faible salaire minimal en cas d'entrée dans l'Union, à l'exception de l'Italie, de l'Autriche ou de la Finlande, qui ne fixent aucun Smic chez eux.

À la lecture de ces chiffres, on peut comprendre les craintes de certains observateurs qui redoutent la dispersion, à travers l'Europe, de travailleurs moldaves ou ukrainiens si les deux pays intégraient l'UE. Leurs prétentions salariales, moindre en raison du niveau de rémunération dans leur pays d'origine, pourraient en effet tirer vers le bas les salaires au sein de l'Union.

Notons enfin que le montant du salaire minimum n'est pas le seul indicateur économique susceptible de poser problème. En effet, le PIB par habitant reste aujourd'hui très bas en Moldavie et en Ukraine, respectivement de 5657 et 8656 dollars. En Bulgarie ou en Roumanie, pays actuellement les plus pauvres des 27, le PIB par habitant oscille plutôt entre 20000 et 23000 dollars.  

Une mise en conformité sur le temps long ?

Si à l'heure actuelle, les chiffres illustrent une forme de retard de développement de la Moldavie et de l'Ukraine sur le plan économique (sans même prendre en compte l'impact de la guerre), d'aucuns souligneront qu'une adhésion à l'UE n'aurait rien d'immédiat. Il y a quelques semaines, Les Vérificateurs faisaient en effet remarquer que les délais pour parvenir à intégrer l'Union pourraient se révéler très longs, de l'ordre de 10 à 20 ans.

"Juridiquement, il est possible de faire une procédure accélérée. Ça pourrait se faire en l'espace d’un an", estimait l'expert en droit européen Vincent Couronne. "Il faudrait pour cela une unanimité des pays membres et accepter une opération qui nous coûterait très très cher", résumait-il. Pour autant, il lui semblait "assez délicat d'imaginer une procédure d'adhésion qui serait pour ainsi dire à la carte, puisque cela viendrait dénaturer la cohérence du projet européen et ses principes".

En tout état de cause, il paraîtrait plus probable de voir l'Ukraine et la Moldavie suivre un processus d'adhésion traditionnel, profitant des délais inhérents à ces procédures pour faire évoluer leurs économies respectives et tenter de les harmoniser avec celles des États membres.

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Thomas DESZPOT

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