Liban : pourquoi la hausse du prix des carburants pourrait précipiter le pays dans le chaos

ML (avec AFP)
Publié le 22 août 2021 à 23h54
Des automobilistes font la queue à l'extérieur d'une station essence fermée, dans le quartier d'Hamra à Beyrouth, le 20 août 2021.

Des automobilistes font la queue à l'extérieur d'une station essence fermée, dans le quartier d'Hamra à Beyrouth, le 20 août 2021.

Source : ANWAR AMRO / AFP

INQUIÉTUDES - Alors que le pays du Cèdre s'enfonce de jour en jour dans une crise humanitaire historique, la hausse du prix des carburants de près de 70%, annoncée par les autorités ce dimanche 22 août, pourrait porter le coup de grâce à une économie déjà exsangue.

La série noire se poursuit au Liban : prise en tenaille entre les nombreuses pénuries et une hyperinflation, la population va devoir faire face à de nouvelles privations. Les autorités ont augmenté dimanche 22 août le prix des carburants de près de 70%, pour atteindre des montants qui ont presque triplé en deux mois, depuis les premières réductions des subventions allouées aux importations par la Banque centrale. 

Une annonce cruciale, tandis que le Liban est engoncé depuis l’automne 2019 dans l’une des pires crises économiques au monde depuis le milieu du XIXe siècle, selon la Banque mondiale, dont il ne parvient pas à s’extirper. 

Selon la nouvelle liste des prix publiée dimanche par l'Agence nationale d'information ANI, celui de l'essence sans plomb 98 et 95 augmente de 67% et 66% par rapport aux derniers tarifs annoncés le 11 août, tandis qu’acheter une bonbonne de gaz ménager coûtera désormais deux fois plus cher. Les autorités justifient leur décision par la concurrence d'une contrebande vers la Syrie voisine, où le carburant est vendu bien plus cher que sur le marché interne. L'armée a d’ailleurs lancé des perquisitions et saisi des tonnes de carburant dans des stations-service ou chez des fournisseurs, accusés de les stocker pour les revendre et profiter ainsi de la spéculation.

Jusqu’alors, un mécanisme de la Banque centrale (BDL) permettait de fournir aux importateurs des dollars au taux officiel de 1.507 livres libanaises, ce qui permettait de limiter la course des prix de certains produits. Mais le manque de devises a mené la BDL à rationner progressivement ses dollars. Samedi, lors d'une réunion entre le président, le Premier ministre sortant et le gouverneur de la BDL, un nouveau taux de 8.000 livres pour un dollar pour les importations de carburant a été adopté.

Une hausse qui devrait affecter l'ensemble de l'économie

Avant même cette nouvelle augmentation des prix, des files interminables se formaient déjà à l’entrée de nombreuses stations service, quand elles ne fermaient pas. Dans la nuit du 14 au 15 août,  une citerne d’essence a explosé dans la région du Akkar, faisant une trentaine de morts parmi la foule d'habitants attroupés dans l'espoir de récupérer du carburant, selon un nouveau bilan du ministère de la Santé, après que des blessés aient succombé à leurs blessures. 

Mais cette nouvelle progression des tarifs ne devrait pas affecter uniquement les stations services, mais aussi l’ensemble de l’économie libanaise, déjà exsangue. À travers le pays, les prix dans les supermarchés grimpent de semaine en semaine, même pour les produits de base, à cause d’une dépréciation de la livre libanaise qui poursuit invariablement sa course : la monnaie nationale a perdu plus de 90% de sa valeur sur le marché noir. Les devises étrangères, elles, continuent de manquer. 

La situation ne peut que s'aggraver si une solution immédiate n'est pas trouvée

Najat Rochdi, coordinatrice humanitaire des Nations unies

De nombreux hôpitaux ont également tiré la sonnette d’alarme à cause des pénuries d’électricité et de médicaments, craignant que certains patients n'y survivent pas, faute par exemple de pouvoir faire fonctionner les respirateurs. L’ombre d’un "black-out" général pèse de plus en plus sur le pays, tandis que certaines villes ont déjà été plongées dans le nord total à la suite de coupures générales de l'Électricité du Liban, l'office qui assure la gestion du réseau électrique libanais. Privés de courant jusqu’à 23h par jour, les Libanais tentent de survivre, tandis que les générateurs de quartier peinent à assurer le relais  en l’absence de fioul.

Parallèlement, les systèmes publics d'approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées ont limité leurs activités faute de carburant, "laissant des millions de personnes sans accès à l'eau et mettant en danger l'environnement et la santé publique", estime l’ONU sur son site d’information. "Je suis profondément préoccupée par l'impact de la crise du carburant sur l'accès aux soins de santé et à l'approvisionnement en eau pour des millions de personnes au Liban", s’est alarmée mardi Najat Rochdi, coordinatrice humanitaire des Nations Unies pour le Liban, dans un communiqué. "La situation ne peut que s'aggraver si une solution immédiate n'est pas trouvée", a-t-elle estimé.

Le Hezbollah annonce l'importation de carburant iranien

Une solution qu'a tenté d'esquisser la présidence libanaise en demandant "à la Banque du Liban d'ouvrir un compte temporaire pour couvrir une subvention urgente et exceptionnelle aux carburants", ont indiqué samedi soir les autorités. Les importations d'essence, mazout et gaz domestique seront ainsi subventionnées grâce à une enveloppe de 225 millions de dollars maximum jusqu'à fin septembre, a indiqué la même source.

Mais selon l’économiste Nassib Ghobril, de la Byblos Bank Group, ce geste de "compromis" ne suffira pas à venir à bout de la pénurie. "Cela ne va pas résoudre le problème", a-t-il fait valoir auprès de l’AFP, considérant que "la solution est la levée totale des subventions, [qui] fera disparaître les longues files aux stations-service et découragera la contrebande".

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L’annonce de la hausse des prix du carburant pourrait aussi accentuer davantage encore les crispations politiques dans le pays. Dimanche 22 août, Hassan Nasrallah, le chef du mouvement chiite Hezbollah, a promis dimanche 22 août de nouvelles cargaisons de carburant iranien au Liban, une décision susceptible de relancer les critiques des anti-Hezbollah au sujet de l’ingérence iranienne au pays du Cèdre. "Nous poursuivrons ce processus tant que le Liban en aura besoin", a-t-il indiqué dans une allocution télévisée, affirmant toutefois que "l'objectif est d'aider tous les Libanais" et non pas seulement "les partisans du Hezbollah ou les chiites".

Selon l’ONU, environ 78% de la population libanaise vit désormais sous le seuil de pauvreté, contre un Libanais sur deux il y a encore six mois, et moins d’un sur trois avant la crise. 


ML (avec AFP)

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