Pour dénoncer l'attitude des autorités iraniennes à l'égard des femmes, des photographies sont exhumées sur les réseaux sociaux.Ces clichés représentent des femmes non voilées, dans des tenues souvent légères, et veulent montrer que le pays a changé sous l'influence des islamistes.Des photos qui ont bien été prises en Iran, avant 1979, une époque où la condition des femmes était très différente.
En Iran, les manifestations se multiplient après la mort de Mahsa Amini, une jeune femme détenue par la police des mœurs. Alors que le port obligatoire du voile fait l'objet de contestations au sein dans la société iranienne, des clichés vieux de plusieurs décennies sont exhumés en ligne.
Sur ces photos, prises il y a une cinquantaine d'années, l'on voit des femmes habillées à l'occidentale, tête nue, parfois même en bikini sur la plage. S'agissait-il de scènes courantes en Iran avant la révolution de 1979, qui a conduit au départ du Shah et à la proclamation de la République islamique ? Pour le savoir, TF1info a interrogé la sociologue et politiste Mahnaz Shirali, spécialiste de l'Iran.
Iran. From Bikini to Burqa in fifty years. pic.twitter.com/NKa4DXa2df — Anand Ranganathan (@ARanganathan72) September 19, 2022
1979, un point de rupture majeur
Lorsqu'on lui présente ces clichés, l'experte évoque des souvenirs personnels. "Au niveau des codes vestimentaires, je me souviens avoir posté des photos de la génération de ma mère : les jeunes, croyez-moi, étaient choqués en les voyant." Avant 1979, "l'Iran était un pays d'une certaine manière très comparable à la France". À Téhéran comme dans le reste du pays, la culture américaine s'est largement diffusée et des stars comme Ava Gardner ou Elizabeth Taylor faisaient rêver les femmes iraniennes. Tenues, coiffures... la mode était à l'occidentale, comme en témoignent des magazines d'époque. "Si vous en doutez, je peux vous envoyer des photos de ma mère pendant sa grossesse, peu avant que je vienne au monde", lance amusée Mahnaz Shirali.
"Les femmes comme ma mère ou ma tante travaillaient toutes. Leurs amies aussi, des femmes qui ont aujourd'hui 80 à 90 ans. Elles étaient bien souvent fonctionnaires. On observe une vraie rupture avec les femmes de ma génération, qui malgré de nombreux diplômes ne trouvent pas de place dans la vie active et économique. La République islamique, une fois installée, a tout fait pour enfermer les femmes dans l'espace privé." Et de rappeler que le voile n'était pas généralisé avant 1979, loin de là. "Le père du Shah avait ôté le voile de la tête des femmes", note la spécialiste.
"Symbole de l'antimodernisme"
Son confrère sociologue Ali Jafari, qui a travaillé sur les normes vestimentaires et la répression sociale en République islamique d'Iran, glisse lui que "dès 1936, les femmes des villes n'avaient plus le droit de le porter dans les lieux publics". Une interdiction assouplie au fil du temps, mais qui traduisait une volonté de rupture. Bannir le voile était présenté comme une manière lutter contre un "symbole de l'antimodernisme".
Des années 1950, 60, 70, de nombreux témoignages nous sont parvenus. La Guardian présentait ainsi il y a quelques années de nombreuses photos d'archives illustrant la vie en Iran durant ces décennies. Le pays qui est ici dépeint est difficile à reconnaître par rapport à la représentation que l'on en a aujourd'hui. Le cliché qui suit, relayé par l'ONG Foundation for Iranian studies, montre quant à lui un groupe de parlementaire prenant la pose, au milieu des années 1970 à Téhéran. Sans voile, dans des tenues colorées et pour certaines perchées sur des talons.
"Lors de réceptions officielles organisées par l'administration, les femmes de fonctionnaires étaient obligées d'ôter le voile", explique Mahnaz Shirali. "Certaines, qui n'étaient forcément habituées, pas à l'aise lorsqu'elles avaient la tête nue, mettaient des chapeaux." Une émancipation féminine qui ne s'observait pas uniquement dans la capitale : "L'Iran n'est pas un pays très rural, la population se concentre essentiellement dans les villes. Bien sûr, les codes vestimentaires peuvent évoluer : plus les villes sont grandes, plus la liberté est importante. Mais même si dans les localités plus réduites, le contrôle social se révélait plus important, il s'agissait d'un mouvement qui propageait à travers le pays."
Une influence étrangère dans le style et le mode de vie qui s'observait aussi dans les films, assure la sociologue. "Il suffit de comparer le cinéma iranien de l'époque avec le cinéma américain : on mesure bien l'influence de Hollywood, malgré une évidente coloration locale."
Très loin de l'image que l'on en a aujourd'hui, l'Iran a donc été un pays où les femmes ont durant de longues années adopté un mode de vie et un style très proche de celui en vogue dans le monde occidental. Une époque qui a laissé des traces dans l'inconscient collectif, si bien que les décennies qui ont précédé la révolution de 1979 sont aujourd'hui fantasmées. "Il y a, je trouve, une forme de nostalgie. Les jeunes notamment se sont fait une image assez idyllique de cette époque, elle devient idéalisée."
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