À LA LOUPE - À l'issue du G7 à Biarritz, Emmanuel Macron est notamment revenu sur la menace de hausse des tarifs douaniers que fait peser Donald Trump sur le vin français. Doutant des effets réels d'une telle décision, le président de la République a pris l'exemple des taxes mises en place sur le bois canadien importé aux Etats-Unis qui n'auraient eu aucune incidence si ce n'est d'augmenter le prix des maisons. Mais qu'en est-il ?
Emmanuel Macron n'aurait-il pas parlé un peu trop vite ? Le 26 août, le président de la République a accordé une interview à France 2 après le sommet du G7 à Biarritz. Interrogé notamment quant au flou entretenu par Donald Trump sur la hausse des taxes sur le vin français, le chef de l'Etat s'est voulu rassurant, prenant en exemple les tarifs douaniers américains sur le bois canadien.
Des droits de douane qui, d'après Emmanuel Macron, n'auraient pas eu les effets escomptés : "Elle [la nouvelle taxe, ndlr] n’a pas diminué d’un centime les ventes du bois canadien. Mais elle a augmenté le prix pour les consommateurs, parce que tout simplement les Américains ne savaient pas produire le même bois pour ces constructions."
Le président français en est certain : les tarifs douaniers décidés par Donald Trump n'ont pas permis de protéger le marché intérieur américain. À La Loupe a vérifié ce qu'il en est.
De quelle taxe parle Emmanuel Macron ?
Depuis la fin de l'année 2017, les Etats-Unis appliquent des tarifs douaniers de 20% sur les importations de bois d'oeuvre canadien, c'est à dire les grumes déjà débités et prêts à être utilisés pour la construction de bâtiments sous forme de planches ou de plaques.
Une décision prise à peine un an après l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Dès le mois de janvier 2017, la nouvelle administration avaient mis en place son fameux plan dit 'antidumping', contre la concurrence déloyale. Le Département américain du Commerce avait alors passé en revue l'ensemble des situations où les secteurs américains seraient désavantagés par des pratiques anti-concurrentielles de leurs partenaires économiques.
Mais que reprochent concrètement les Américains à leur voisin du Grand Nord ? Après leur grand audit, les Etats-Unis ont calculé que les subventions publiques canadiennes accordées à l'industrie du bois tiraient artificiellement les prix vers le bas. Sans oublier que les forêts exploitées au Canada sont du domaine public, ce qui favoriserait les exploitants du pays. Par conséquent, l'administration de Donald Trump estime être dans son bon droit d'appliquer des droits compensatoires pour rééquilibrer le marché et rétablir une concurrence faussée selon elle par l'intervention des pouvoirs publics canadiens.
Contacté par LCI, le Bureau du commerce des Etats-Unis nous confirme que "la politique antidumping sert à protéger les entreprises et les travailleurs américains contre les importations de bois d’œuvre résineux à des prix inéquitables et subventionnés". Ainsi, ce tarif douanier de 20%, "fait en sorte que les producteurs américains de bois d’œuvre soient placés un pied d'égalité" avec leurs homologues canadiens.
Ces tarifs douaniers sont-ils en échec ?
Emmanuel Macron assure que les exportations de bois canadien vers les Etats-Unis n'ont pas diminué et que les maisons coûtent désormais plus cher aux Américains.
Pour ce qui est des prix du bois d'oeuvre, les cours se sont effectivement envolés en 2017, dès les premières annonces de Donald Trump quant à un durcissement des tarifs. Ils sont alors passés du simple au double en l'espace de quelques mois, comme le montre ce graphique édité par le Nasdaq. Le niveau historique a été même atteint en début d'année 2018. Par conséquent, tel que l'explique comme l'explique le New York Times, le coût des maisons américaines - essentiellement construites en bois - a augmenté durant la période allant de fin 2017 à début 2018, au moment où les cours étaient à leur maximum.
Une hausse que confirme pour LCI le porte-parole du ministère des Affaires mondiales du Canada. "Selon la National Association of Home Builders (NAHB), les droits constituent le principal facteur responsable de la hausse de l’ordre de milliers de dollars du prix des maisons familiales américaines typiques depuis 2017."
Reste que depuis mi-2018, les prix ont chuté, jusqu'à redevenir stables et retrouver une situation comparable à celle avant l'arrivée de Donald Trump au pouvoir. D'après les données de Random Lengths, un site internet américain dédié au marché du bois, si l'année 2018 a battu tous les records, les prix du premier semestre 2019 sont en moyenne plus bas qu'en 2017, alors même que les taxes de 20% sont toujours appliquées.
A noter également que l'organisation internationale du bois Wood Markets, basée à Vancouver, n'impute pas le pic des cours de début 2018 aux seuls nouveaux tarifs douaniers. Ainsi, des mauvaises conditions météo dans la province canadienne de la Colombie britannique - qui assure 50% de la production du pays - ont entraîné un manque d’approvisionnement et, mécaniquement, une hausse des prix.
Des dizaines de scieries ont réduit leur activité et quatre sont définitivement fermées
Russel Taylor, directeur-général de Wood Markets
Concernant les exportations canadiennes vers les Etats-Unis, Emmanuel Macron semble se tromper là aussi. Et pour cause : si elles dégringolaient de 16% entre janvier 2017 et janvier 2018, celles-ci ont continué à chuter, certes dans une moindre mesure, après la mise en oeuvre des taxes. Selon Wood Markets, la baisse était ainsi de 7,6% entre juillet 2018 et 2019. Une baisse qui n'a toutefois pas été compensée par une hausse de la production nationale américaine. Des pays européens ont en revanche su tirer leur épingle du jeu, les exportations ayant notamment bondi en Allemagne, en Autriche, en Suède et en Finlande.
Avec des cours redevenu très bas et l'application de 20% de taxes, le Canada pâtit cependant bel et bien de cette situation. "Des dizaines de scieries ont réduit leur activité en Colombie-britannique et quatre sont définitivement fermées", confirme à LCI Russel Taylor, directeur-général de Wood Markets. Il faut rappeler que le marché américain est crucial pour les Canadiens : en 2018, 91% du bois d'oeuvre importé aux Etats-Unis en provenaient. Russel Taylor reconnaît d'ailleurs qu'"en comparaison, presque aucune usine aux États-Unis n'a réduit sa production".
Mais le porte-parole du ministère des Affaires mondiales du Canada contacté par LCI veut rassurer. "Les États-Unis ont besoin du bois d’œuvre résineux canadien. La production de leur industrie satisfait moins de 70% des besoins américains en matière de bois d’œuvre résineux. Le Canada continue à combler l’écart, et ce avec des produits abordables et de bonne qualité."
Les situations sont-elles vraiment comparables ?
Emmanuel Macron n'a donc sans doute pas pris le meilleur exemple en comparant les tarifs douaniers sur le bois d'oeuvre canadien à la menace d'une décision semblable contre le vin français.
Dans le cas spécifique du bois, les bisbilles ne datent pas de Donald Trump. Les premières disputent diplomatiques entre le Canada et les Etats-Unis remontent ainsi à 1982, et toujours pour les mêmes raisons : les Canadiens exporteraient du bois trop peu cher sur le marché américain. De plus, il apparaît que les principales organisations professionnelles américaines du secteur faisaient déjà pression sur la Maison Blanche en 2015, soit bien avant l'arrivée du milliardaire à la tête du pays. Jusqu'à cette année-là, un accord commercial sur le bois d'oeuvre liait les Etats-Unis au Canada, mais les Américains le considéraient comme trop favorable à leurs voisins.
Les droits américains sur le bois d’œuvre résineux canadien sont injustifiés et causent du tort tant aux collectivités qui dépendent de la foresterie qu’aux consommateurs des deux côtés de la frontière
Porte-parole du ministère des Affaires mondiales du Canada
Une question demeure : l'administration Trump est-elle allée trop loin en surtaxant le bois canadien ? Pas à en croire une décision prise par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en avril 2019. L'instance internationale, qui avait été saisie par le gouvernement de Justin Trudeau, a finalement approuvé les méthodes de calcul de la Maison Blanche, même si le Canada a annoncé qu'il ferait appel.
Une décision qui pourrait bien être de mauvais augure pour le secteur du vin français en cas de conflit ouvert sur d'éventuelles taxes américaines, l'agriculture hexagonale - et européenne - étant elle aussi largement subventionnée.
Vous souhaitez réagir à cet article, nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse alaloupe@tf1.fr
Sur le
même thème
Tout
TF1 Info