DÉCRYPTAGE – Si elles conservent leur majorité au Parlement catalan avec 70 sièges sur 135 après les élections régionales anticipées de jeudi, les trois listes séparatistes vont désormais devoir s’entendre pour réussir à gouverner. Que peuvent-elles espérer ? L’indépendance de la pronvince est-elle toujours d’actualité ? À quoi faut-il s’attendre dans les prochaines semaines ? Éléments de réponse.
Un certain flou demeure. Au lendemain des élections régionales en Catalogne, qui ont vu les trois listes indépendantistes (ERC, Junts per Catalunya et CUP) conserver leur majorité absolue au Parlement avec 70 sièges sur 135 -contre 72 en 2015- malgré la victoire du parti centriste "espagnoliste" Ciudadanos d’Inés Arrimadas (37 mandats), les incertitudes restent nombreuses. Et pour cause : outre les négociations que vont désormais devoir mener les séparatistes pour s’entendre entre eux et réussir à gouverner, le sort de plusieurs personnalités élues jeudi semble encore (très) loin d’être fixé.
À l’instar du chef de file de l’ERC, Oriol Junqueras, trois des nouveaux députés catalans se trouvent actuellement en prison tandis que cinq autres, dont l’ex-président destitué de la Generalitat, Carles Puigdemont, sont en exil. Vont-ils être en mesure d’exercer leur mandat ? Le gouvernement de Mariano Rajoy, qui a subi une gifle monumentale (seulement trois sièges obtenus pour le Parti populaire), va-t-il camper sur ses positions ou jouer la carte de l’apaisement ? L’indépendance de la région est-elle toujours d’actualité ? La crise est-elle sur le point de se terminer ? Pour l’heure, la situation est aussi imprévisible qu’inédite. En attendant d'en savoir plus, LCI décrypte les enjeux de ces prochains jours et de ces prochaines semaines en cinq questions.
Que peuvent espérer les séparatistes ?
La majorité absolue acquise leur permet de garder la mainmise sur la région. Si l’ensemble du bloc séparatiste a perdu deux sièges par rapport à la l’Assemblée sortante, les deux principaux partis – ERC et Junts per Catalunya – sortent, eux, renforcés. Avec 32 élus pour le mouvement d’Oriol Junqueras et 34 pour celui de Carles Puigdemont (66 au total), l’ancienne coalition Junts per Sí, qui avait obtenu 62 sièges en 2015, accroît son influence au sein du Parlement, même si elle aura à nouveau besoin du petit parti d'extrême-gauche CUP pour atteindre le seuil fatidique des 68 sièges. Sa priorité devrait être la levée des sanctions de l’article 155 de la Constitution espagnole et la reprise de négociations avec Madrid pour une plus grande autonomie –notamment fiscale– de la Catalogne, comme l’a souligné Carles Puigdemont ce vendredi depuis Bruxelles, où il a appelé Mariano Rajoy au dialogue.
"C'est assez inédit comme situation", explique à LCI Barbara Loyer, directrice de l’Institut français de géopolitique et spécialiste de l’Espagne. Selon elle, un certain flou persiste quant à la suite politique des événements. "Le programme des indépendantistes, c’était de gagner, mais ils n'ont pas dit ce qu'ils feraient en cas de victoire". Les négociations pour former un gouvernement commenceront après les fêtes de fin d'année, le 6 janvier vraisemblablement. Eles devraient permettre de tirer les premiers enseignements.
Qui sera le prochain président catalan ?
En difficulté durant la campagne, qu’il a dû mener depuis la Belgique, Carles Puigdemont ressort comme le grand gagnant côté séparatiste. Il semble de nouveau en position favorable pour la présidence de la Generalitat. Une situation qui n’avait rien d’évidente au départ. Devancé dans les sondages par l’ERC de son ancien numéro deux Oriol Junqueras, le président catalan destitué à la coupe de Beatles a finalement coiffé son ex-allié au poteau. Mais il est toutefois loin d’être tiré d’affaire. De fait, si sa victoire dans les urnes devrait lui conférer une forme de protection, il reste poursuivi par la justice espagnole pour "rébellion" et "sédition". Théoriquement, il serait arrêté s'il revenait en Espagne. Bien qu’élu député, il ne serait alors pas en mesure d’exercer ses fonctions depuis sa cellule ni de gouverner si le Parlement le choisissait comme chef de file.
Rappelons qu'au total, cinq des nouveaux parlementaires sont en exil et trois sont en prison. Selon le journal catalan La Vanguardia, qui cite une source à la Cour suprême, seul le juge Pablo Llarena, qui a enclenché les poursuites, pourrait éclaircir leur horizon. "Il pourrait décider de les libérer sous caution ou de les faire venir au Parlement escortés par la police pour prendre part au vote [pour la présidence]", écrivait jeudi le quotidien. "Il est arrivé dans le passé qu'un prisonnier de l'ETA soit libéré pour aller au Parlement, ça peut faire jurisprudence", abonde Barbara Loyer. Toujours selon La Vanguardia, si le juge ne leur accorde pas de sortie de prison, les candidats-élus pourraient avoir à céder leur place à d’autres membres de leurs listes.
L’indépendance est-elle toujours d’actualité ?
En partie seulement. Forts de leur victoire et de leur majorité retrouvée, les députés des listes séparatistes gardent tous dans un coin de leur tête l’idée d’une République catalane indépendante. Dans les faits pourtant, la situation est nettement plus complexe et nombre d’entre eux se contenteraient sûrement d’une simple autonomie élargie. "Avec 80% de participation, les indépendantistes ne sont toujours pas majoritaires en voix", relève Barbara Loyer. "C’est compliqué de déclarer l'indépendance sans majorité qualifiée."
Les élus régionalistes restent en effet minoritaires en nombre de voix (47,5% des suffrages) et savent qu’il leur sera difficile de forcer la main à l’autre moitié de la société, déterminée à rester unie au reste de l’Espagne. "Ils vont être confrontés à une opposition qui n'est plus la même", précise la chercheuse, qui voit en Ciudadanos un vent de nouveauté grâce à "un discours sur l’Espagne qui gagne". La formation, qui va jouer à plein son rôle de poil à gratter, ne compte rien lâcher sur la question de l’indépendance. "Le débat est devenu très émotionnel", note Barbara Loyer. Elle estime que les fractures béantes seront longues à combler.
Que va faire Mariano Rajoy ?
Il ne s’attendait sans doute pas à un tel camouflet. Le chef du gouvernement espagnol, muet depuis l’annonce des résultats jeudi soir, s'est exprimé vendredi à 14h depuis La Moncloa, siège de l’exécutif. "De ces élections, émerge une Catalogne plurielle et nous devons tous la respecter", a-t-il d'abord déclaré, saluant chaudement la victoire de la candidate centrise Inés Arrimadas. "Personne ne peut parler au nom de la Catalogne s'il ne parle pas au nom de toute la Catalogne", a-t-il enchaîné avant d'évoquer "une chance de franchir une nouvelle étape", soulignant sans plus de précisions qu'"une période de dialogue s'ouvr[ait] en Catalogne". De quoi susciter l'étonnement lorsqu'il a ensuite refusé l'invitation de Carles Puigdemont, qui souhaite le rencontrer hors d'Espagne. "Je devrais m'asseoir avec ceux qui ont gagné les élections et c'est Inés Arrimadas", a-t-il ironisé.
On voit mal comment Mariano Rajoy pourrait être ferme maintenant
Barbara Loyer, spécialiste de l’Espagne
Interrogé sur le cas des élus emprisonnés, Mariano Rajoy a répondu que leur situation ne dépendait "pas du tout du vote" de jeudi mais des décisions que prendra la justice. "Comme tout autre citoyen, nous devons nous soumettre à la justice. Le problème, c'est que nous sommes tous soumis à la règle de droit. Si des gens font ce qu'ils veulent et approuvent des lois parallèles, alors nous nous retrouvons dans une situation qui n'est pas souhaitable dans un pays moderne." Le Premier ministre, qui a exclu la possibilité de convoquer des élections anticipées générales en Espagne tout comme celle de réformer la Constitution, a ensuite précisé qu'il suspendrait l'application de l'article 155 "à partir du moment où il y aura un nouveau gouvernement en Catalogne", soit au plus tard le 8 février prochain.
S'il a tenté de faire bonne figure, le conservateur marche néanmoins sur des oeufs et voit ses marges de manoeuvre réduites. "On voit mal comment Mariano Rajoy pourrait être ferme maintenant", fait valoir Barbara Loyer, pour qui le chef du gouvernement "a manifestement peur d'affronter la rue". Une rue catalane qui pourrait encore gronder si l'exécutif persistait dans la fermeté.
La crise est-elle terminée ?
Après plusieurs semaines d’une tension exacerbée, le retour à une situation normale pourrait prendre du temps. Au-delà des nombreuses questions juridiques à régler, notamment sur les élus emprisonnés ou exilés ou des sanctions qui pèsent toujours sur la Catalogne et ses représentants, les résultats semblent maintenir la région dans le statu-quo. La suite des événements devrait grandement dépendre de la teneur des discussions entre Madrid et les indépendantistes catalans, bien que ces derniers s’estiment légitimes pour mener la politique qu’ils souhaitent.
"Ils disent que la nation catalane a gagné, alors que la seule chose qu'ils peuvent dire, c'est qu'il y a un problème", explique encore Barbara Loyer pour qui il existe actuellement "deux nations sur un même territoire". Deux nations qui vont désormais devoir œuvrer à la réconciliation. Pour l’instant, c’est loin d’être gagné.
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