L'Ocean Viking a-t-il volontairement refusé d'accoster dans des ports non-européens ?

Publié le 13 novembre 2022 à 18h27, mis à jour le 15 novembre 2022 à 9h14

Source : JT 20h WE

Des internautes affirment que le navire humanitaire Ocean Viking aurait pu accoster dans plusieurs ports avant la France.
Ils accusent l'ONG SOS Méditerranée d'avoir ignoré l'éventualité de débarquer à Malte ou en Tunisie.
Ces critiques reposent sur une méconnaissance du droit maritime.

Derrière les bons sentiments, l'ONG SOS Méditerranée cacherait une manœuvre politique. C'est la nouvelle accusation portée ce samedi 12 novembre par certains internautes. Selon eux, l'association de sauvetage en mer aurait "délibérément ignoré" l'accostage dans certains ports afin de débarquer en France. Le navire aurait ainsi refusé de se rendre à Sfax, en Tunisie et à Malte, selon ceux qui diffusent cette rumeur. L'Ocean Viking aurait-il réellement pu éviter les trois semaines d'errance en mer ? Nous avons vérifié.

46 demandes envoyées, notamment à Malte

Cette accusation provient d'un article en espagnol publié dans La Gaceta de la Iberosfera. Une source peu anodine. Ce journal numérique est détenu depuis décembre 2020 par Vox, un parti d'extrême droite espagnol ultra-conservateur. Dans son article, le journaliste reprend les données sur le trajet du navire humanitaire et s'insurge qu'il ne se soit pas arrêté plus tôt sur cet itinéraire de près de 3000 kilomètres. Preuve, selon lui, que l'ONG qui en a la charge poursuit en fait "le but final que les mafias offrent aux immigrants illégaux". 

De fait, les données disponibles sur Marinetraffic montrent que le navire rouge est passé à proximité des côtés libyennes, tunisiennes et maltaises au cours de son voyage. Alors, pourquoi ne pas y avoir jeté l'ancre ? Pour le savoir, on s'est tourné vers le journal de bord du bateau humanitaire, qui reprend en détail toutes les démarches de l'équipage et leur localisation. Il propose l'historique précis des sauvetages, mais aussi des messages envoyés pour mettre les passagers à l'abri. On y lit que, quatre jours après avoir quitté le port de Syracuse, en Sicile, le bateau de l'ONG sauve des eaux 34 personnes en détresse dans la nuit du 22 octobre. Les données de géolocalisation montrent qu'il se situe à ce moment-là non loin des côtes tunisiennes et libyennes. Mais attention. Être à proximité d'un pays ne signifie pas qu'on se trouve dans la zone de recherche et de sauvetage de ce dernier. Et de fait, cette nuit-là, l'Ocean Viking navigue dans la zone où les autorités libyennes sont compétentes. 

C'est pourquoi SOS Méditerranée envoie dans la matinée un message au centre de coordination des secours libyens, le JRCC. Comme le montre le tableau de bord, en copie du mail sont mis les centres de coordination italiens (IMTRCC), maltais (MTRCC) mais aussi norvégien, dont l'Ocean Viking bat pavillon. Très précisément, la demande enjoint ces autorités compétentes à donner "l'indication d'un lieu de sécurité" dans lequel le bateau peut accoster. Pourquoi ne pas appeler la Tunisie ? "Quand on envoie un message aux Libyens, c'est pour respecter le droit maritime, puisque nous nous situons dans leur zone de sauvetage", précise auprès de TF1info Fabienne Lassalle, la directrice adjointe de l'ONG. "Étant donné qu'ils ne possèdent aucun port sûr, ils ne peuvent pas nous permettre d'accoster. Selon le droit maritime, c'est alors leur rôle de se coordonner avec les pays voisins pour trouver ce port sûr", explique notre interlocutrice. 

En tout, les trois premières opérations de sauvetage menées par l'Ocean Viking se déroulent dans une zone coordonnée par les Libyens. Et les trois autres, dans une zone coordonnée par les Maltais. À chaque fois, un message est envoyé, avec les mêmes destinataires. "Dans le strict respect des conventions maritimes, dès qu'un sauvetage est opéré, nous envoyons des demandes de localisation d'un port sûr", souligne Fabienne Lassalle. En théorie, c'est à ces autorités maritimes que revenaient la responsabilité d'accueillir le bateau ou de rechercher une solution auprès d'autres ports sûrs.

La France interpellée après douze jours de silence

Au total, 46 demandes sont envoyées. Et ni la Libye, ni Malte, ni aucun autre port sûr à proximité ne répondent favorablement à ces requêtes. À noter d'ailleurs, qu'aucun des pays cités par les internautes, pas plus que les États européens, ne se pressent pour accueillir les bateaux des ONG. En 2018, la Tunisie avait bloqué pendant deux semaines un navire marchand qui avait sauvé des vies en mer. Malte a, elle aussi, souvent refoulé des bateaux avec des migrants à bord. "Le porte de Malte aurait été un port sûr pour nous, mais ce n'est pas faute de les avoir sollicités depuis le jour du premier sauvetage", regrette la directrice adjointe de l'association.

C'est donc après un silence de douze jours que l'ONG décide d'élargir ses demandes. Le 2 novembre, à 19h, l'équipage de l'Ocean Viking envoie des messages de "coopération et de coordination pour identifier un lieu sûr" à trois centres distincts : en France, en Espagne et en Grèce. Pourquoi ces ports ? "On procède par cercles concentriques, par rapport aux pays côtiers les plus proches de notre localisation", répond notre interlocutrice. 

L'Ocean Viking, le nouveau navire de secours des migrants de SOS-MéditerranéeSource : Sujet JT LCI

En résumé, l'ONG aurait bien voulu débarquer plus rapidement. Elle a d'ailleurs souligné elle-même lors de la conférence de presse qui s'est tenue le vendredi 11 novembre qu'un débarquement en France était le fruit d'une "situation exceptionnelle qui ne doit pas se reproduire". Si le bateau a dû errer pendant trois semaines en mer, ce n'est pas parce qu'il l'a souhaité. Mais parce qu'il n'a jamais reçu l'autorisation d'accoster.

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Felicia SIDERIS

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