Présidentielle au Brésil : Jair Bolsonaro "est trois ou quatre degrés au-dessus de Donald Trump"

Propos recueillis par Felicia Sideris
Publié le 28 octobre 2018 à 15h31, mis à jour le 29 octobre 2018 à 0h45
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Source : Sujet TF1 Info

TROIS QUESTIONS À... - Le candidat d'extrême droite Jair Bolsonaro a remporté ce dimanche la présidentielle aux Brésil. La présidente de l'association sur la recherche pour le Brésil en Europe, Juliette Dumont, décrypte pour LCI l'essor de cette extrême droite particulièrement violente.

Il est misogyne, raciste, homophobe et prône une violence totalement décomplexée. Jair Bolsonaro a de quoi inquiéter. Élu à la présidence du Brésil ce dimanche après avoir a remporté 56 % des voix, soit 10 points de plus que son score du premier tour,  le futur chef d'Etat entrera en fonction en janvier prochain. 

Comment expliquer cette victoire ? Avant ce second tour, LCI avait posé la question à Juliette Dumont, présidente de l'association sur la recherche pour le Brésil en Europe. Maître de conférence en histoire à l’Institut des hautes études de l'Amérique latine, elle explique en quoi cette extrême droite brésilienne est si particulière. 

LCI : Les défenseurs du candidat Jair Bolsonaro affichent sur Twitter le slogan "Make Bresil great again". Peut-on vraiment parler d'un "Donald Trump des tropiques" comme le fait la presse anglo-saxonne?

Juliette Dumont : On retrouve chez Jair Bolsonaro plusieurs points communs avec Donald Trump : il a le soutien des évangélistes, un programme confus, des discours fermes. Il prône, comme Trump, des valeurs très traditionnelles, la baisse des impôts et l’accès aux armes à feu. On voit aussi la même campagne de désinformation. Ainsi, le Tribunal Suprême Électoral a condamné samedi dernier 90 fausses informations diffusées par les partisans de l’extrême droite. Certaines ont d’ailleurs été particulièrement dommageables pour le candidat travailliste, notamment cette rumeur selon laquelle l’Etat proposerait aux enfants d’orienter leur sexualité. 

Mais cette comparaison point pour point avec Donald Trump s’est arrêtée il y a huit mois, lorsque Bolsonaro a opéré un virage ultra libéral, au détriment de la pensée protectionniste qu’il avait jusqu’alors. Je ne sais pas si ce choix a été fait par conviction ou par opportunisme. Quoi qu’il en soit il se distingue des autres partis d’extrême droite, et de l’idéologie de la dictature, avec cette prise de position. Il a fait savoir qu’il voulait privatiser l’Amazonie notamment. En fait il veut tout privatiser. Et ne pas laisser un seul mètre carré protégé pour les Indiens. C’est pourquoi nous avons vu des représentants du secteur financier lui montrer son soutien. Le patron d’une chaîne de magasins, par exemple, a convoqué tous ses salariés, et les a prévenus qu’il fallait voter Bolsonaro. Et que s’ils ne le faisaient pas, ils seraient virés. Donc, au nom du bien de l’économie, on vote pour lui. Au détriment des libertés et de la démocratie.

Lorsqu’on prône l’élimination d’opposants, la violence devient un langage accepté et acceptable par la société
Juliette Dumont, maître de conférence à l'Institut des hautes études de l'Amérique latine

LCI : Peut-on comparer l'extrême droite brésilienne à celle qui prend de plus en plus de place dans les démocraties occidentales?

Juliette Dumont : En quelque sorte. Sauf qu'ici, nous sommes face à un cas de figure trois ou quatre degrés au-dessus de celui de Donald Trump. Notamment sur le discours à propos de la dictature. Aux Etats-Unis, on ne peut pas prôner une dictature militaire, ce n’est pas audible, le pays garde certains repères. Le président Trump n’avait pas le même discours ultra-violent, notamment à l’égard de ses opposants. C’est là toute la particularité de l’extrême droite brésilienne, qui incite à une politique violente. Ainsi, le 4 septembre, Jair Bolsonaro a appelé ses militants à mitrailler les opposants du Parti Travailliste (PT). La semaine dernière, un des candidats de son parti a  cassé une plaque en hommage à Marielle Franco, députée de gauche assassinée début mars, et a posté une photo sur les réseaux sociaux. Elle était évidemment noire, lesbienne et issue des favelas. Même le fils du candidat y va de sa provocation. Il avait publié, sur les réseaux sociaux, la photo d’une tête décapitée et en sang dans un sac plastique. La légende disait : "Voilà ce que nous réservons aux opposants". Et il n’y a eu aucune condamnation.

Cette violence peut s’expliquer de deux façons. D’une part, elle existe indéniablement dans la société brésilienne.  Ainsi, il y a eu près de 60.000 homicides au Brésil l’an dernier, dans un pays en paix, et  même la presse et les médias n’hésitent pas à exhiber des cadavres ensanglantés en Une. L’autre clé de compréhension est la polarisation du discours. Il n’y a plus de débat politique. Lorsqu’on prône l’élimination d’opposants, symboliquement ou littéralement, la violence devient un langage accepté et acceptable par la société.

On peut s’asseoir sur les libertés et les droits humains pour ses propres intérêts
Juliette Dumont, maître de conférence à l'Institut des hautes études de l'Amérique latine

LCI : Comment expliquer que l'extrême droite puisse accéder au pouvoir, dans une nation qui, il y a quelques années à peine, était considérée comme un leader de la gauche internationale ?

Juliette Dumont : Il y a plusieurs façons d’expliquer sa popularité. Tout d’abord, dans les classes populaires, certains se sentent délaissés, oubliés. Pourtant, ils ont profité des aides instaurées sous le règne du Parti Travailliste. Mais ils suivent notamment l’avis de l’église évangélique, très populaire dans cette tranche de la population, qui appelle clairement ses fidèles à voter pour Bolsonaro car il défend la famille traditionnelle et Dieu.  

Du côté des classes moyennes, certains pensent qu’il vaut mieux moins de liberté pour aller mieux. On est dans un pays où le chômage et la violence explosent, et les inégalités sociales se creusent. Il y a une vraie détresse de la classe moyenne, qui subit la crise de plein fouet et en a marre des scandales de corruption. Alors certains, qui aiment les idées libérales du candidat, votent pour lui en partant du principe que les institutions du pays le retiendront de tout dérapage. Comme Donald Trump. Sauf qu’il sera très difficile, avec des institutions brésiliennes aussi fragiles, de contenir cet homme. 

Enfin, chez les très riches, le discours est celui de dire que le Parti Travailliste conduira le pays dans une crise comme celle au Venezuela. Ils agitent le spectre de ce pays, avec une rhétorique anti-communiste qu’on trouvait dans les années 50. Mais à l’époque, le contexte était celui  de la guerre froide. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et ni Lula da Silva, ni Dilma Rousseff (présidents successifs du Brésil de 2003 à 2016) n'ont mis en place une politique d'extrême gauche. Ils le savent, et ce sont d’ailleurs enrichis sous ces présidences. Mais l’idée qu’un homme puisse privatiser et baisser les impôts, ça leur plait. On peut s’asseoir sur les libertés et les droits humains pour ses propres intérêts. De plus, après des années au pouvoir de la gauche, de promotion des Indiens et des femmes, il y a une espèce de vengeance des classes pour eux.

Juliette Dumont : Quoi qu’il en soit, il faut se rappeler que tous les électeurs n’adhèrent pas aux propos racistes, misogynes et homophobes d’une grande violence de Bolsonaro. Mais la droite traditionnelle s’est effondrée, ses électeurs sont orphelins et ont donc voté pour lui. A côté de ça, la gauche n'est plus crédible à cause des scandales de corruption. Et c’est dans ce contexte tout particulier de désenchantement démocratique, et de rupture avec l’ordre républicain que cette extrême droite apparaît. 

Ce qui m’inquiète aujourd'hui, c’est qu’au même moment, nous avions vu des mouvements sociaux et militants inédits, notamment cet été. Il ne faut pas oublier qu’au Brésil, les institutions judiciaires sont déjà fragilisées, l’exécutif est décrédibilisé, et le Congrès sera extrêmement polarisé. Tout ça avec une opinion publique chauffée à blanc. Dans ce contexte, je m’inquiète pour mes amis et mes collègues qui dénoncent le fascisme et l’autoritarisme. Si Bolosonaro arrive au pouvoir, quelle sera la répression de ces mouvements ? 


Propos recueillis par Felicia Sideris

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