"Lame duck" : pourquoi le président Trump est-il actuellement qualifié de "canard boiteux" ?

Publié le 24 novembre 2020 à 1h10, mis à jour le 24 novembre 2020 à 1h44
"Lame duck" : pourquoi le président Trump est-il actuellement qualifié de "canard boiteux" ?
Source : WIN MCNAMEE /Getty Images via AFP

DERNIERS FEUX - Dans le temps de la transition vers son successeur, le président américain est traditionnellement appelé "Lame Duck". Plus complètement dedans, pas encore dehors, c’est un entre-deux où il peut pourtant encore prendre des décisions, souvent symboliques mais parfois graves.

Le 20 janvier prochain, à midi, Donald Trump ne sera officiellement plus le président des Etats-Unis. Durant les deux mois et demi entre l’annonce de la victoire de Joe Biden le 7 novembre dernier (qu’il n’a toujours pas reconnue), et la fin de son mandat, il est donc toujours en fonction, avec des pouvoirs intacts. Qu'il ait enfin donné son feu vert à Emily Murphy, responsable de la transition, pour entamer le protocole, n'y change rien.

Cette période intermédiaire est particulièrement surveillée, et dans le cas de Donald Trump, elle était déjà redoutée avant même le scrutin. Le président prend effectivement des décisions majeures, et qui engagent son successeur. Ainsi du retrait des troupes d’Afghanistan, un choix décisif pour le rôle des Etats-Unis dans la région. 

Ainsi aussi des opérations de forage dans une réserve naturelle de l’Alaska, qu’il tient à finaliser avant de partir. On l’aura vu aussi limoger plusieurs membres de l’administration, dont son ministre de la Défense… et on attend la suite.

Ces décisions de dernière minute ne sont pas une nouveauté en elles-mêmes. La période est propice, pour un président qui n’a plus rien à perdre ni à gagner, à des décisions impopulaires ou particulièrement culottées. C’est aussi un moment que les présidents ont parfois utilisé pour fignoler l’héritage historique qu’ils laisseront au pays.

Un président face à l'Histoire

Prédécesseur de Donald Trump à la Maison Blanche, Barack Obama avait marqué les esprits en amnistiant près de 200 personnes. Et surtout, sans la "pardonner", il avait réduit la peine de Chelsea Manning, permettant de facto sa libération. Considérée à gauche comme une lanceuse d’alerte, cette ancienne analyste militaire était vue par les Républicains comme traître à la patrie. 

Barack Obama avait agi intensément jusqu’aux tous derniers jours de sa présidence, déclenchant le financement d’un fonds pour le Climat, ou participant à un sommet Asie-Pacifique au Pérou. 

Enfin, en phase avec la préoccupation d’héritage qui habite tous les présidents en fin de règne - aux États-Unis comme ailleurs - Barack Obama avait décrété monuments nationaux plusieurs sites du sud des États-Unis comme l’hôtel de Birmingham (Alabama) dont Martin Luther King avait fait son  quartier général. 

A trois jours de la cérémonie d’intronisation de son successeur Donald Trump, il avait donné une dernière conférence de presse mémorable à la Maison Blanche, en forme de bilan de ses huit années de mandat.

Le temps du "pardon"

Juste avant l'arrivée Barack Obama en janvier 2009, George W. Bush avait lui aussi signé quelques amnisties, mais pas pris de décision majeure. La fin de son second mandat était en elle-même claudicante, plombée par une impopularité sans précédent, et empêtrée dans la crise des subprimes.

Si des présidents ont choqué pour leurs dernières décisions avant de partir, c’est souvent en lien avec cette tradition des amnisties. Bill Clinton avait ainsi "pardonné" Marc Rich le 20 janvier 2001, quelques heures avant de quitter la Maison Blanche. Marc Rich avait été condamné par contumace à 325 ans de prison, notamment pour avoir commercé avec l’Iran en pleine crise des otages. Son amnistie avait provoqué un énorme scandale aux États-Unis, dont Bill Clinton a dû continuer à se justifier, bien après la fin de son mandat.

L’autre souvenir fort, dans la mémoire américaine récente, c’est celui de Bush père, amnistiant en décembre 1992 des responsables de l’administration fédérale impliqués dans l’énorme scandale "Iran-Contras", un schéma de financement des contre-révolutionnaires au Panama par des ventes d’armes à l’Iran. L’affaire courait depuis la fin du mandat précédent, celui de Ronald Reagan dont George H.W. Bush avait été le vice-président. 

Mais si le président sortant est affublé du surnom de "canard boiteux", dans ses deux derniers mois de mandat, c’est au fond plus à cause de son absence de décision que l’inverse. Historiquement, c’est même la transition calamiteuse entre les présidents Hoover et Roosevelt qui avait amené à réduire cette période incertaine. Hoover avait en effet prolongé de 4 mois l’inaction notoire de sa présidence, au moment crucial d’une crise sociale sans précédent.

Or, c’est un cas de figure comparable qui est finalement le plus redouté, pour les dernières semaines de Donald Trump au pouvoir. Tandis que l’épidémie de coronavirus explose aux Etats-Unis, le président semble plus préoccupé par les supposées fraudes électorales, sur lesquelles il tweete inlassablement - tout en privant Joe Biden d’une transition efficace. Le pays est ainsi privé, au pire moment, d'une stratégie nationale à moyen terme, face à un défi majeur contre lequel le statu quo n'est pas une solution.


Frédéric SENNEVILLE

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