INTERVIEW - Plus de 350 membres présumés de la 'Ndrangheta mais aussi élus locaux, fonctionnaires, policiers et entrepreneurs, sont jugés à partir de ce mercredi en Calabre. Un procès hors-norme, comme nous l'explique Fabrice Rizzoli, docteur en sciences politiques.
La plus puissante mafia italienne face à la justice. Accusés de crimes, de trafic de drogue ou d'extorsion, des centaines de membres présumés de la 'Ndrangheta comparaissent à partir de mercredi en Calabre. Pas moins de 900 témoins et 400 avocats sont attendus lors de ce procès hors normes, le plus important depuis trois décennies. Que faut-il en attendre ? Les explications de Fabrice Rizzoli, docteur en sciences politiques à l'université Paris I, enseignant de géopolitique des criminalités à Sciences Po et l'institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Y aura-t-il un avant et un après ce procès de la 'Ndrangheta ?
Il ne faut pas raisonner seulement à l'échelle de la 'Ndrangheta, le procès ne concernant pas toute la Calabre. En outre, il concerne très peu les relations de cette mafia à l'étranger. Il n'empêche : le procès a lieu devant la cour de Catanzaro, où le procureur Gratteri a été nommé il y a quatre ans et où, jusqu'ici, on estimait que la justice n'avait pas été assez pêchue. Gratteri a mis un grand coup de pied dans la fourmilière grâce à ses enquêtes depuis quatre ans puis ce procès. Il a tiré les fils de Vibo Valentia, une ville de Calabre très connue pour son omerta, sa loi du silence, mais moins sujet à la répression car les autorités avaient d'autres priorités.
Le prisme qui consiste à se demander si ce procès peut mettre fin à la 'Ndrangheta n'a pas de sens. Il faut surtout souligner qu'à Vibo Valentia, la loi du silence régnait, et que désormais les gens osent aller manifester dans la rue. Ils l'ont fait en décembre dernier, pour soutenir le procès et Gratteri à qui ils ont dit : "Depuis que vous êtes intervenus, on respire."
Il s'agit d'une mafia de sang, l'une des seules au monde
Fabrice Rizzoli, docteur en sciences politiques, spécialiste de la grande criminalité
Sur le banc des accusés, on retrouve des policiers, des élus locaux ou des entrepreneurs…. La 'Ndrangheta se répand-elle dans tous les pans de la société italienne ?
Cette mafia n'existerait pas sans ses complicités au sein de la sphère politico-administrative. Cette "bourgeoisie mafieuse", ce corps social dans lequel il y a des mafieux, des pauvres qui veulent devenir riche. Des avocats sont aussi sur le banc des accusés. Au même titre que des commandants de police, un ancien maire, des hommes politiques… Tout cela, c'est grâce à Gratteri. Il ose. "Quand il fait des procès, y a beaucoup de relaxes", estiment ses détracteurs. Certes, mais quand on essaie de poursuivre les puissants, qui disposent des meilleurs avocats du monde, sans flagrants délits… forcément il y a des relaxes.
Le clan Mancuso est au cœur du procès. Que sait-on de cette famille ?
Dans la région de Vibo Valentia, le clan Mancuso est très puissant. Il y a déjà dix ans, une commission parlementaire sur la mafia calabraise avait fait tout un historique de ce clan : ils sont nombreux, ont recours à la violence, dealent directement avec les cartels mexicains pour importer de la cocaïne via le port de Gioia Tauro. Ce sont eux qui ont construit ce dernier, car ils possédaient les sociétés de BTP. Il y a toujours une figure tutélaire qui se démarque, en l'occurrence Luigi Mancuso. Comme souvent, ces chefs finissent en prison, soumis à un isolement strict. Ils continuent à donner quelques ordres mais sur le territoire, il a toute une série de sous-chefs, de lieutenants.
J'étais encore à Limbadi en septembre, la "capitale" du clan Mancuso au sud de Vibo Valentia. Dans cette localité de 2500 personnes, cinq de leurs villas ont été confisquées. Il y a notamment un grand immeuble, coupé en deux, avec une partie confisquée et des membres de la famille Mancuso dans l'autre. C'est aussi, à Limbadi, que le cousin du chef mafieux s'est marié, arrivant en hélicoptère sur la place du village sans autorisation. La localité de Nicotera, la "station balnéaire" à côté de Limbadi, est elle aussi au cœur du procès : l'ancien maire est poursuivi pour complicité. Il y a cette idée que ce procès est hors norme par le nombre de protagonistes, mais aussi en raison de cette région où manquait une impulsion très forte dans la répression de la part des autorités.
Des dizaines de repentis vont témoigner, est-ce une première ?
53 collaborateurs de justice c'est important. Cela prouve que le système, mis sur pied depuis 1991, est arrivé à maturité. Il y a cependant peu de collaborateurs de justice dans la 'Ndrangheta car, en Calabre, il s'agit d'une mafia de sang, l'une des seules au monde. Il faut en effet un lien familial pour y rentrer, par exemple en se mariant avec la fille d'un chef. Pourquoi ? Car quand on veut dénoncer son père, son cousin ou son frère, cela devient plus dur que de dénoncer une personne qui ne serait pas de son sang.
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