SURVEILLANCE – D’après une enquête menée par un groupe de médias internationaux, un logiciel espion nommé Pegasus, développé par une société israélienne, a été utilisé pour espionner des milliers de personnes dans le monde, parmi lesquelles des journalistes, des dissidents, mais aussi des chefs d’État ou de gouvernement.
Introduit dans un smartphone, le logiciel espion Pegasus permet d’en récupérer les messages, les photos, les contacts, et même d’activer micros et caméras pour transformer l’appareil en mouchard. Ce logiciel, mis au point par l’entreprise israélienne NSO Group, et commercialisé uniquement auprès d’États ou d’agences gouvernementales, a permis d’espionner des militants, des journalistes, des avocats, des ambassadeurs et des opposants du monde entier, selon une enquête publiée dimanche 17 juillet par un consortium de dix-sept médias internationaux, dont font notamment partie les quotidiens français Le Monde, britannique The Guardian, et américain The Washington Post.
Treize chefs d’État ou de gouvernement, dont trois européens, ont aussi été espionnés, rapporte franceinfo, qui précise que de nouvelles révélations seront faites ces prochains jours.
Le travail du consortium se fonde sur une liste obtenue par les organisations Forbidden Stories et Amnesty International et qui comprend 50.000 numéros de téléphone que les clients de NSO ont sélectionnés depuis 2016 en vue d'une surveillance potentielle.
Cette liste inclut les numéros d'au moins 180 journalistes, 600 hommes et femmes politiques, 85 militants des droits humains, ou encore 65 chefs d'entreprise... d'après l'analyse menée par le consortium qui a localisé de nombreux numéros au Maroc, en Arabie saoudite ou au Mexique.
Ce dernier pays est "dans le peloton de tête" des pays les plus actifs avec Pegasus, indique franceinfo, ajoutant que là-bas, près de 15.000 numéros de téléphone ont été sélectionnés comme autant de cibles potentielles pour une attaque du logiciel espion. Parmi eux, celui du journaliste mexicain Cecilio Pineda Birto, abattu quelques semaines après son apparition sur ce document. Mais aussi ceux des correspondants étrangers de plusieurs grands médias, dont le Wall Street Journal, CNN, France 24, Mediapart, El Pais, ou l'AFP.
Plus de 1000 Français seraient sur la liste, toujours selon franceinfo, qui précise que la France n’est pas cliente de NSO. De multiples journalistes et patrons de médias français figurent sur la liste des cibles de Pegasus, dans les rédactions du Monde, du Canard enchaîné, du Figaro ou encore de l'Agence France-Presse et de France Télévisions.
67 téléphones analysés
Les journalistes du "Projet Pegasus" ont rencontré une partie des personnes visées et ont récupéré 67 téléphones qui ont fait l'objet d'une expertise technique dans un laboratoire d'Amnesty International. Elle a confirmé une infection ou une tentative d'infection par le logiciel espion de NSO Group pour 37 appareils, dont 10 situés en Inde, selon les compte-rendus publiés dimanche.
"À plusieurs reprises, le consortium Forbidden Stories et le Security Lab de l'ONG Amnesty International ont pu techniquement déterminer que l'infection avec Pegasus avait été couronnée de succès", écrit Le Monde, notamment dans le cas d'Edwy Plenel, le fondateur du site d'informations en ligne Mediapart, de Dominique Simonnot, ancienne enquêtrice du Canard enchaîné et désormais contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, mais aussi d'une journaliste du Monde, qui a souhaité rester anonyme.
"L'espionnage de mon téléphone et de celui de ma consœur Lénaïg Bredoux mène directement aux services marocains, dans le cadre de la répression du journalisme indépendant et du mouvement social", a réagi Edwy Plenel sur Twitter.
Le consortium d'investigation #ForbiddenStories révèle que @Mediapart a été espionné en 2019-2020 par le Maroc grâce au logiciel #Pegasus , via mon téléphone et celui de @LenaBred . Rendez-vous demain matin pour plus d'infos et nos réactions sur https://t.co/m2kitUs94s https://t.co/JObwCAN7SI — Edwy Plenel (@edwyplenel) July 18, 2021
Bruno Delport, le directeur de TSF Jazz, candidat en 2019 à la présidence de Radio France, ou encore Eric Zemmour figurent également parmi les cibles françaises.
Deux des téléphones analysés par le consortium appartiennent à des femmes proches du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, assassiné en 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul par un commando d'agents venus d'Arabie saoudite, écrivent les médias ayant mené l’enquête.
Pour les 30 autres smartphones examinés, les résultats ne sont pas probants, souvent car les propriétaires des numéros ont changé de téléphone.
"Il y a une forte corrélation temporelle entre le moment où les numéros sont apparus sur la liste et leur mise sous surveillance", précise le Washington Post.
NSP nie "les fausses accusations"
Cette analyse s'ajoute à une étude, menée en 2020, par le Citizen Lab de l'université de Toronto, qui avait confirmé la présence du logiciel Pegasus dans les téléphones de dizaines d'employés de la chaîne Al-Jazeera du Qatar. WhatsApp avait également reconnu en 2019 que certains de ses utilisateurs en Inde avaient été espionnés par ce logiciel.
Pour Le Monde, "ni NSO ni le gouvernement israélien ne peuvent ignorer qu’une importante partie de leurs clients achètent Pegasus spécifiquement pour se livrer à une surveillance de leurs oppositions politiques et de leur population, sans oublier l’espionnage industriel de leurs partenaires commerciaux et le renseignement sur les gouvernements voisins".
Des soupçons pèsent de longue date sur la société NSO, fondée en 2011 au nord de Tel-Aviv. Le groupe a régulièrement été accusé de faire le jeu de régimes autoritaires, mais a toujours assuré que son logiciel servait uniquement à obtenir des renseignements contre des réseaux criminels ou terroristes.
Il a, comme à chaque fois, "nié fermement les fausses accusations portées" dans cette nouvelle enquête. Elle "est bourrée de suppositions erronées et de théories non corroborées, les sources ont fourni des informations qui n'ont aucune base factuelle", a-t-il écrit sur son site, en précisant envisager de porter plainte en diffamation.
NSO est loin d'être la seule entreprise israélienne à être soupçonnée de fournir des logiciels espion à des gouvernements étrangers peu regardants sur les droits humains, avec le feu vert du ministère israélien de la Défense. Le logiciel DevilsTongue de la société Saito Tech Ltd, plus connue sous le nom de Candiru, a été utilisé contre une centaine de responsables politiques, dissidents, journalistes et militants, ont affirmé jeudi des experts de Microsoft et de Citizen Lab.
Des entreprises d'origine israélienne comme NICE Systems et Verint ont fourni des technologies aux polices secrètes de l'Ouzbékistan et du Kazakhstan, ainsi qu'aux forces de sécurité de Colombie, avait estimé en 2016 l'ONG Privacy International.
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