PORTRAIT – Les autorités turques suivent la piste du prédicateur Gülen dans l'assassinat de l'ambassadeur de Russie à Ankara, malgré les réserves de Moscou. Portrait d'un religieux à la tête d'un puissant mouvement dont le pouvoir tente d'anéantir l'influence après l'avoir utilisé.
Fethullah Gülen est-il le "coupable idéal" pour Ankara ? Quelques heures après l'assassinat de l'ambassadeur de Russie, les autorités turques ont émis l'hypothèse selon laquelle l'assaillant pourrait être lié à Fethullah Gülen, un ancien imam déjà accusé d'avoir fomenté le renversement d'Erdogan cet été. Erdogan lui-même l'assure ce mercredi : l'assassin est lié à Gülen. Une accusation qui a"choqué et profondément attristé" le principal intéressé, alors que Moscou a de son côté joué la carte de la prudence, se refusant à toutes "conclusions hâtives". Seule certitude : Fethullah Gülen embarrasse la Turquie. Et ce, depuis longtemps.
► Fethullah Gülen, puissant prédicateur en exil
Agé de 75 ans, Fethullah Gülen est un prédicateur musulman originaire de la région d'Erzurum, en Anatolie orientale (nord-ouest de la Turquie). Il a fondé dans les années 1970 le puissant mouvement Hizmet (le "service" en turc) inspiré du soufisme, courant ésotérique et mystique de l'islam qui s'organise en tariqa (confrérie). Depuis 1999, il vit en exil dans la petite ville de Saylorsburg, en Pennsylvanie (nord-est des Etats-Unis). Il réside dans un complexe ressemblant à un hôtel, le Golden Generation Worship and Retreat Center. Malade, selon le magazine américain The Atlantic , auquel Fethullah Gülen avait accordé un entretien en 2013, il ne se déplacerait pour ainsi dire jamais et poursuit ses activités de prêche et d'écriture à destination de ses disciples grâce à la télévision et Internet. Si à l'époque, ce dernier affirmait que rien sur le plan juridique ne l'empêchait de rentrer en Turquie, il jugeait également que son retour pourrait déstabiliser les réformes démocratiques engagées depuis le début des années 1990.
► Hizmet, un mouvement influent
Le mouvement Hizmet, dont les sympathisants sont visés par une purge massive depuis le coup d'Etat manqué, s'est très largement implanté dans la société turque. Engagé dans la vie civile, à travers notamment des activités économiques, Hizmet s'appuie aujourd'hui sur un réseau impressionnant d'écoles - principalement en Turquie, mais aussi un peu partout dans le monde -, d'ONG, ainsi que d'entreprises qui s'inspirent de la pensée du prédicateur musulman prônant l'ouverture à l'éducation et aux sciences, ainsi que le dialogue interreligieux. Parfois comparé aux jésuites ou aux mormons, ce mouvement dispose d'importantes ressources financières - on évoque le montant de 50 milliards de dollars -, issues de l'activité de ses membres qui sont tenus de consacrer du temps ou de l'argent à l'organisation. Celle-ci est également influente dans les milieux des médias, de la police et de la magistrature en Turquie.
Le mouvement Hizmet, un "Etat parallèle ?
► D'allié d'Erdogan…
Réprimé par l'Etat kémaliste dès sa création, Hizmet a néanmoins réussi à se développer dans la société turque. Au début des années 2000, le mouvement de Fethullah Gülen s'est allié à l'AKP, le parti islamo-conservateur fondé par Erdogan qu'il a jugé compatible avec ses préceptes, à commencer par la séparation du religieux et du politique. L'homme fort d'Ankara s'est ainsi appuyé sur ce puissant réseau pour asseoir son pouvoir, notamment à travers l'influence d'Hizmet dans le milieu judiciaire, grâce auquel il a réduit l'influence de l'armée dans le pays.
► … à ennemi juré
Mais la relation entre le parti politique et l'organisation religieuse à visée sociale s'est progressivement détériorée, notamment en raison du tournant autoritaire et islamisant d'Erdogan en 2011. La rupture interviendra deux ans plus tard avec l'éclatement d'un scandale de corruption visant le cercle intime d'Erdogan, qui y voit la main du réseau de Fethullah Gülen. S'ensuit une véritable purge au sein notamment de la police et de la justice visant des adeptes du mouvement, le pouvoir accusant Hizmet d'être un "Etat parallèle" qui cherche à le renverser.
Une purge encore plus massive, notamment dans les rangs de l'armée et de la police, a été lancée après le coup d'Etat avorté du 15 juillet, dont Ankara a accusé Fethullah Gûlen d'être le cerveau (ce qu'il nie) : des dizaines de milliers de personnes soupçonnées de sympathie envers le prédicateur exilé ont été arrêtées.
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