Mali : l'opération Barkhane "a fait du mieux qu'elle a pu"

Propos recueillis par Thomas Guien
Publié le 17 février 2022 à 17h14

Source : JT 20h Semaine

Une page se tourne ce jeudi pour les armées tricolores au terme de près d'une décennie de guerre au Mali.
Que faut-il retenir de l'opération anti-djihadiste française Barkhane ?
Les explications pour TF1info d'Elie Tenenbaum, chercheur à l'Ifri.

L'armée française se retire du Mali. Poussés dehors par la junte au pouvoir à Bamako, la France et ses partenaires européens ont officialisé jeudi leur retrait militaire du pays au terme de neuf ans de lutte anti-djihadiste. Retour sur une décennie de guerre avec Elie Tenenbaum, chercheur et directeur du Centre des Études de Sécurité de l'Ifri.

Emmanuel Macron a-t-il raison de récuser "complètement" l'idée d'échec au Mali ?

Elie Tenenbaum : Tout dépend de quoi on parle. Le bilan militaire de Barkhane n'a pas à rougir. L'opération a fait du mieux qu'elle a pu. En revanche, si on regarde d'un point de vue stratégique global, l'intervention française (diplomatique, sécuritaire…), c'est la démonstration des limites d'une action contre le terrorisme. Le succès de cette dernière dépend très largement de la capacité du partenaire local à assurer une solution durable au conflit. Il faut voir les choses en face : nous ne sommes pas parvenus à convaincre l'État malien sur une solution qui aurait pu offrir une alternative à l'offre des djihadistes. 

Il y a en effet des groupes terroristes qui proposent une action militaire, mais aussi un programme social, culturel, religieux… Le problème de Barkhane a été son découplage entre une jambe militaire qui fonctionnait bien et produisait des résultats et une jambe politique qui n'a jamais réussi à avancer. Attention : le politique n'était pas le mandat du commandement de Barkhane. Il n'y a pas de responsabilité si on n'a pas réussi à convaincre l'État malien.

L'intervention française durant ces années a-t-elle eu un effet dans la lutte anti-djihadiste ?

Il y a eu de nombreux succès militaires. Chaque mandat de Barkhane, depuis 2014, a terminé l'année avec un bilan militaire positif, avec de zones nettoyées, des ennemis neutralisés. Mais la résilience des adversaires dépendait de leur ancrage politique, économique et sociale. Et pas du tout d'un stock de ressources militaires infinies. Vous pouvez éliminer autant de djihadistes que vous voulez, tant qu'ils ont un ancrage politique, idéologique, un pouvoir de recrutement intact… Notre travail militaire a fait seulement gagner du temps. Et c'était l'objectif de Barkhane. Il n'y a pas eu d'échec de ce point de vue-là.

Vulnérabilité de certains blindés, introduction de l'usage de drones armés… Quel est le bilan de l'intervention française d'un point de vue militaire ? 

La critique sur les blindés est infondée. Le théâtre militaire a évolué au Mali, l'adversaire s'est endurci. La guerre, initialement de "cavalerie" avec de la mobilité, est devenue une guerre "d'infanterie", avec des patrouilles sur un terrain compliqué. Dans l'ensemble, Barkhane a bénéficié de la tranche la plus moderne de l'armée de terre, avec du soutien aérien. S'il y a eu un problème de vieillissement du matériel, ce n'est pas au Sahel qu'on l'a constaté, mais dans les régiments, dans des unités en Outre-mer. 

Concernant les drones, Barkhane a accompagné l'adaptation de la position française. En 2013, c'est l'opération au Mali qui a convaincu la France du besoin urgent de disposer de drone qui permettent de faire du renseignement. Il y a eu le choix de passer de drone de renseignement à des drones armés, avec des résultats. Le Mali a conduit à une vraie modernisation des procédures et de la manière dont on traite la problématique du "ciblage" dans les armées. 

Est-il désormais possible pour la France de contenir la menace djihadiste sans avoir les pieds au Mali ?

La France va rester au Sahel sans être présente au Mali. La solution de repli immédiate se trouve au Niger et au Burkina Faso. L'action française ne prendra pas la même forme là-bas qu'au Mali : le Niger comme le Burkina sont fragiles, ils risqueraient de l'être encore plus avec un trop grand déploiement du dispositif français. 

L'action militaire française va se réduire, nous allons conserver une capacité de frappe contre les terroristes dans des cas d'urgence absolue, comme empêcher qu'une grande ville soit prise. Nous aurons sans doute une force de réaction rapide pour intervenir dans la zone, mais qui ne s'inscrira plus dans la durée comme Barkhane. En revanche, on devrait assister à un partenariat militaire qui permettra d'endiguer un terrorisme qui continue à s'étendre. On est conscients dans les États-majors et les chancelleries que ce dernier risque de faire peser de graves menaces sur nos intérêts dans la région. 


Propos recueillis par Thomas Guien

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