Scandale autour des ECHO, les Victoires de la musique allemandes, sur fond d’antisémitisme

par Claire CAMBIER
Publié le 26 avril 2018 à 0h08
Scandale autour des ECHO, les Victoires de la musique allemandes, sur fond d’antisémitisme
Source : Jens Kalaene / dpa / AFP

OUT - L’équivalent des Victoires de la musique en Allemagne, ECHO, a créé la polémique en récompensant deux rappeurs dont certaines chansons contiennent des propos antisémites. Depuis, le scandale ne fait que prendre de l’ampleur : certains artistes ont rendu leur prix, des manifestations ont éclaté et ECHO a été supprimé. Retour sur les faits.

Cela fait maintenant deux semaines. Deux semaines que "le scandale d'ECHO", comme l'a surnommé la presse allemande, a éclaté, mais depuis, le climat reste tendu. Pas un jour ne passe sans une réaction médiatique, une manifestation. D'où vient le malaise ? Que s'est-il bien passé outre-Rhin ? LCI fait le point.

Acte 1 - La controverse

Le 12 avril dernier se tenait ECHO, la cérémonie de remise de prix musicaux la plus renommée en Allemagne, l'équivalent allemand de nos Victoires de la musique. Les récompenses sont décernées en fonction des succès commerciaux des artistes, dans tous les domaines musicaux, du rock au jazz en passant par la musique classique.

Dans la catégorie hip-hop, le prix est revenu aux rappeurs Kollegah et Farid Bang. Les deux chanteurs ont vendu plus de 200.000 exemplaires de leur album JBG3  - Jung Brutal Gutaussehend 3, autrement dit Jeune, Brutal et Beau gosse 3. Une récompense donc attendue, mais qui a outre passé le fait que plusieurs chansons de l'album comprenaient des textes aux références antisémites. Dans leur chanson o815, l'un des chanteurs évoquait son corps "plus dessiné que celui des détenus d'Auschwitz". Dans une autre chanson, le duo chantonne : "Je referais bien un Holocauste, rapplique avec un Molotov". Ambiance.

Malgré le succès des rappeurs, ce prix a vite mis le feu aux poudres. Cerise sur le gâteau, le 12 avril soit la date de la cérémonie, on célébrait également la journée de la Shoah, en souvenir des six millions de juifs assassinés pendant la deuxième guerre mondiale sous le joug des nazis.

Acte 2 - Les protestations

Dans un pays toujours hanté par les crimes de guerre nazis, les critiques n'ont évidemment pas tardé. Le ministre des Affaires étrangères Heiko Mass s'est empressé de réagir sur Twitter : "Les provocations antisémites ne méritent pas de prix, elles sont tout simplement répugnantes."

"Que les responsables de l'industrie musicale accordent leur blanc-seing à de tels textes sous couvert d'art et de liberté d'expression est scandaleux", a de son côté réagi le président du Conseil central des Juifs d'Allemagne, Josef Schuster. 

Avant même que les résultats ne soient rendus, le Comité international d'Auschwitz s'était offusqué de la nomination de Kollegah et Farid Bang à ECHO, qu'il avait qualifié de "gifle assénée aux survivants de l'Holocauste".

Acte 3 - La tentative d'apaisement

Les deux artistes se sont défendus de tout antisémitisme. Kollegah a ainsi proposé à ses fans juifs des places de concert "à vie" pour ses concerts. Une réaction plutôt étonnante qui n'a convaincu personne.

Acte 4 - L'embrasement, signe d'un malaise plus profond

Le climat était déjà très tendu dans le pays mais un événement a mis définitivement le feu aux poudres : un Israélien portant une kippa a été agressé la semaine dernière dans un quartier branché de Berlin par un réfugié syrien de 19 ans. La scène a été filmée et largement diffusé sur les réseaux sociaux, provoquant un vif émoi dans le pays. L'agresseur a depuis été écroué mais cet incident a conforté le malaise ambiant. "Nous sommes confrontés à de l'antisémitisme parmi les Allemands et aussi 

parmi les gens provenant du monde arabophone", a ainsi récemment souligné la chancelière Angela Merkel.

Des manifestations de soutien à la communauté juive ont rapidement été organisées dans différentes villes d'Allemagne, à Potsdam, Erfurt, Cologne et bien sûr Berlin.  Dans la capitale, la manifestation organisée sous le slogan "Berlin porte la kippa" a rassemblé ce mercredi "plus de 2000 personnes", selon la police. Beaucoup de participants portaient la calotte religieuse juive, à l'image de Michael Halfmann, 58 ans. "Ce qui se passe actuellement, c'est de l'ignorance. Les gens n'ont rien appris du fascisme et ça reste aujourd'hui très présent dans la société", a-t-il déploré. "Nous tous, juifs, chrétiens, musulmans, athées, nous devons nous lever contre cette haine", a estimé de son côté, Gideon Hoffe, président de la Communauté juive de Berlin.

Tous les rassemblements ne se sont malheureusement pas déroulés sereinement. Toujours à Berlin, un début de rassemblement contre l'antisémitisme organisé dans le quartier de Neukölln, où vit une importante communauté immigrée, musulmane principalement, a dû être interrompu "au bout de 15 minutes". Trois participants ont essuyé insultes et crachats, a indiqué le Forum juif pour la démocratie et contre l'antisémitisme (JFDA), à l'initiative de la manifestation.

La veille, le 24 avril, le président du Conseil central des juifs d'Allemagne, Joseph Schuster, déconseillait même de de porter la kippa dans les grandes villes allemandes pour des raisons de sécurités. La ministre de la Justice Katarina Barley lui a répondu que "les juifs ne doivent plus jamais avoir peur quand ils montrent qu'ils sont juifs en Allemagne".

Acte 5 - La chute d'ECHO... et du duo de rappeurs ?

Au-delà des craintes d'une montée de l'antisémitisme, la cérémonie en a forcément pris pour son grade. De nombreux artistes ont tout simplement rendu leurs propres prix, en signe de protestation. Parmi eux : le chef d'orchestre et pianiste israélo-argentin Daniel Barenboim - sept fois lauréat du prix - ou encore le violoniste français Renaud Capuçon. 

Le premier a dénoncé un album aux textes "ouvertement antisémites, misogynes, homophobes et d’une façon générale méprisants pour la dignité humaine", le second a souligné que "toute forme d'art (...) doit être au service de la réconciliation entre les peuples, du dialogue entre les cultures et du respect de chacun".

"La marque ECHO a été endommagée à un tel point qu'un nouveau départ total est nécessaire", a admis la Fédération de l'industrie musicale. La décision a donc été prise de supprimer tout bonnement cette cérémonie, lors d'une réunion extraordinaire à Berlin. L'institution a indiqué qu'elle ne voulait pas "que ce prix musical puisse être considéré comme une plateforme pour l'antisémitisme, le mépris des femmes, l'homophobie ou la banalisation de la violence".

Une nouvelle formule devrait remplacer ces prix mais la Fédération a prévenu qu'elle prendrait son temps avant de prendre une décision. Sur Twitter, l'institution parle d'"un nouveau départ".

Dans la foulée, la maison de disque des rappeurs, BMG, a annoncé qu'elle rompait leur contrat.


Claire CAMBIER

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