Séisme à Haïti : "Depuis 2010, le pays ne s'est jamais vraiment relevé", se désole Josette Bruffaerts-Thomas

par Léa LUCAS Léa LUCAS
Publié le 15 août 2021 à 14h23, mis à jour le 19 août 2021 à 22h09

Source : TF1 Info

INTERVIEW - Au lendemain du séisme de magnitude 7,2 qui a frappé Haïti, les habitants tentent de porter secours aux blessés alors qu'une tempête fonce droit sur l'île. Des catastrophes climatiques qui aggravent la situation politico-économique délétère du pays, selon la présidente de l'association Haïti Futur, Josette Bruffaerts-Thomas pour LCI.

"Un malheur dans un malheur". Ce sont les mots de Josette Bruffaerts-Thomas, présidente de l'association Haïti Futur, au lendemain du séisme qui a durement frappé le 14 août l'île où elle a grandi. Résidente en France, mais originaire des Cayes, petite ville balnéaire du sud-ouest fortement impactée par ce tremblement de terre de magnitude 7.2, elle revient pour LCI sur les conséquences de cet évènement climatique qui ébranle un pays déjà affaibli par une grande instabilité politique.

Au lendemain de ce séisme meurtrier, avez-vous des nouvelles des habitants des zones les plus touchées ?

Oui, et c'est une catastrophe. Moi-même originaire des Cayes, l'une des villes les plus touchées par la catastrophe, j'étais dévastée hier d'apprendre que certains de mes proches sont morts et que ma maison familiale, datant de plus d'un siècle, a été complètement détruite. J'ai connu beaucoup d'ouragans lorsque j'étais enfant, mais jamais de séisme de cette ampleur.

Dans ma commune, des personnes blessées sont allées à l'hôpital pour se faire soigner, mais c'était tellement bondé qu'ils ont dû rentrer chez eux. Non seulement il y a une rareté de médecins en temps normal, mais là, certains ont eux-mêmes été touchés par le séisme, les empêchant de porter secours à ceux qui en ont besoin. Les habitants doivent se débrouiller à mains nues pour aider des personnes encore coincées sous les dalles. Certains crient sous les décombres, on entend leur voix, mais ils vont finir par être asphyxiés. Le problème, c’est que dans ce pays privé d'État, il n'y a pas d'argent public pour financer des services de pompiers, ni d'engins pour aider la population à s'en sortir.

Ça fait d'autant plus mal au cœur qu'avec mon association, Haïti Futur, nous venions d'achever la construction de 40 écoles équipées en matériel informatique, toutes à terre. Mais en dehors des dégâts matériels, c'est surtout les dégâts humains avec un nombre de morts élevé, probablement sous-estimé (près de 2200 à ce stade, ndlr). Il est impossible de recenser avec exactitude le nombre de blessés et de disparus, car il n'y a pas de base de données nationale. Certains n'ont pas de papier d'identité. Nos équipes sur place sont en train d'interroger les familles pour en savoir plus.

À tout cela s'ajoute une tempête qui arrive sur l'île. Les gens ne sont pas encore remis du séisme en cours qu'ils se demandent déjà ce qui va leur arriver, surtout dans une période cyclonique, comme en ce moment. C'est la grande incertitude.

Ils vivent déjà dans un contexte d'insécurité aiguë depuis presque deux ans.
Josette Bruffaerts-Thomas, de l'association Haïti Futur

Empêtré dans une crise politique à laquelle s'ajoutent des catastrophes naturelles, le peuple haïtien n'est-il pas à bout ?

Le peuple haïtien est courageux, mais c'est vrai que son état d'esprit est fortement atteint. Les gens commencent à se décourager, car personne ne prend soin d'eux avec un État inexistant. Ce séisme, c'est une crise dans la crise. Ils vivent déjà dans un contexte d'insécurité aiguë depuis presque deux ans, sont habitués à la violence d'État, mais n'avaient jamais connu celle des milices et des gangs qui ne cessent de se multiplier jusqu’à assassiner le président Jovenel Moïse le 7 juillet dernier

Nous essayons de communiquer au maximum avec les habitants sur place pour leur apporter notre aide, mais c'est un malheur dans le malheur, car la grande route de Martissant, qui permet d'accéder au sud de l'île, est bloquée par ces groupes armés. Heureusement, il y a un petit aéroport à côté de Cayes, à 30 minutes de Port-au-Prince, qui nous permet d'apporter de l'eau, de la nourriture et des médicaments. 

On s'enfonce dans un cercle vicieux qui ne s'arrête jamais.
Josette Bruffaerts-Thomas, de l'association Haïti Futur

Nous continuons à chercher des pistes pour leur faire parvenir d'autres produits, avec des hélicoptères, mais il faut trouver ces moyens d'acheminement. Se fournir en produits de première nécessité n'est pas simple non plus, car même avant le cataclysme, certaines zones du pays étaient en proie à la famine. Des productions de nourriture pourrissent, car elles ne peuvent pas être acheminées à cause de l’insécurité. Le peuple est pris au piège par son propre État.

Ce dernier a une grande responsabilité dans tout cela, sans parler des habitations et structures vétustes, parfois construites en bois pourri qui présentent de vrais problèmes de construction avec une absence de normes parasismiques. Il faut éduquer la population, mais pour cela, il s'agit de limiter la fuite de cerveaux, accentuée par ce type de catastrophes où nombreux d'entre eux décèdent. Ce séisme est donc aussi un séisme politique. On s'enfonce dans un cercle vicieux qui ne s'arrête jamais. 

Cet évènement climatique risque-t-il de raviver le traumatisme de 2010 qui avait fait près de 230.000 morts ?

Oui, car ce séisme a enregistré une magnitude presque similaire à celle de 2010, à Port-au-Prince (7.2). Mais heureusement cette-fois ci, le séisme s'est produit dans un environnement moins peuplé, avec un épicentre plus éloigné dans la campagne. Ils ont aussi eu la chance que nous ne soyons pas dans une période scolaire. De nombreuses écoles qui accueillent jusqu'à 600 enfants se sont effondrées. Si le contexte avait vraiment été le même qu'il y a onze ans, on aurait des milliers de morts en plus.

Depuis cette date, le pays ne s'est jamais vraiment relevé. Nous n'avons jamais eu la reconstruction que nous attendions, malgré les milliards de dollars d'aides internationales qui ont été envoyées, notamment de nos diasporas très mobilisées aux États-Unis, au Canada ou encore en France.


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