La BD "Maus" sur l'Holocauste interdite dans des salles de classe du Tennessee

Publié le 27 janvier 2022 à 14h40, mis à jour le 27 janvier 2022 à 15h30
Art Spiegelman, l'auteur du roman graphique "Maus", récompensé du prix Pulitzer.
Art Spiegelman, l'auteur du roman graphique "Maus", récompensé du prix Pulitzer. - Source : BERTRAND LANGLOIS / AFP

Un conseil scolaire du Tennessee a interdit la présentation de la célèbre BD "Maus" dans ses écoles.
Le roman graphique, lauréat du prix Pulitzer, raconte l'histoire de la Shoah avec des souris et des chats.
Art Spiegelman, son auteur, s'est dit "déconcerté".

Le "premier chef-d'œuvre de l'histoire" de la bande dessinée. C'est en ces mots que The New Yorker qualifie Maus. Première BD à s'être vue décerner le prix Pulitzer en 1992, ce roman graphique, en noir et blanc, retrace la vie de Vladek Spiegelman, un rescapé juif né en Pologne et déporté à Auschwitz dans un camp de la mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Un récit sur l'Holocauste illustré par son fils, l'auteur Art Spiegelman, sous la forme d'une BD, sérialisée entre 1980 et 1991, avec des personnages anthropomorphes. Au fil des pages, les souris prêtent leurs traits aux juifs, tandis que les chats représentent les nazis.

Acclamé par la critique et récompensé par le Grand Prix du Festival d'Angoulême en 2011, cet ouvrage de référence sur la Shoah a été interdit des écoles du Tennessee, aux États-Unis, en raison d'"images et de mots" jugés "inappropriés". Cette décision, rapportée par The Tennessee Holler, a été prise unanimement, le 10 janvier, par le conseil d'administration des écoles du comté de McMinn, qui a invoqué l'utilisation de jurons et la représentation de la nudité, bien que ce soient des souris à l'image.

"Grossier, répréhensible, vulgaire..."

"Il y a un langage grossier et répréhensible dans ce livre", a justifié Lee Parkison, le directeur des écoles. Après avoir "consulté l'avocat de l'établissement", "nous avons décidé que la meilleure manière de corriger ou de contrôler le langage du livre était de le retirer", a-t-il expliqué selon le procès-verbal de la réunion, mis en ligne sur le site du conseil scolaire. Initialement, il a fait valoir que le retrait, à la fois des jurons et de l'image contestée, était envisagé. Finalement, en raison des problèmes liés aux droits d'auteur, l'organe décisionnaire des écoles a opté pour l'interdiction de l'enseignement du roman.

Mike Cochran, l'un de ses membres, cité dans le PV, a indiqué que certaines parties de Maus étaient "complètement inutiles". Il s'est notamment plaint du passage dans lequel la mère d'Art Spiegelman se donne la mort par suicide. "Tu vois le rasoir, la lame avec laquelle la maman se coupe. Tu la vois, allongée, dans une mare de son propre sang." Tony Allman, lui, a jugé que "ce n'est ni sage ni sain" de montrer des gens pendus ou des enfants massacrés. "Pourquoi le système éducatif promeut-il ce genre de choses ?", a-t-il ajouté, se permettant de critiquer et moquer le travail d'Art Spiegelman : "Le type qui a créé cette BD a bossé à Playboy."

Certains participants à cette réunion ont tenté de défendre le livre. "Je peux parler d'histoire, j'étais professeur d'histoire et il n'y a rien de joli dans l'Holocauste et pour moi, c'était une excellente façon de dépeindre une période horrible de l'Histoire", a rétorqué Julie Goodin, qui a soutenu, en vain, l'inclusion du roman dans le programme scolaire. "Monsieur Spiegelman a fait de son mieux pour représenter sa mère décédée et nous sommes près de 80 ans après les faits. (...) C'est une histoire vraie sur son père qui l'a vécue. Il essaie de le décrire du mieux qu'il peut avec le langage qu'il choisit pour être pertinent à cette époque."

Cela me laisse bouche bée
Art Spiegelman, auteur de la BD "Maus"

Le retrait de Maus a suscité une vive indignation dans le milieu littéraire, alors que des groupes conservateurs font campagne à travers les États-Unis pour supprimer ou "blanchir" certains enseignements sur l'esclavage, le racisme, les problèmes LGBTQ ou l'oppression des genres. "Il n'y a qu'un seul type de personnes qui voteraient pour interdire Maus, quel que soit le nom qu'ils se donnent ces jours-ci", a tweeté Neil Gaiman, l'auteur de la série de bandes dessinées The Sandman et d'autres œuvres primées. 

Mis au courant de l'interdiction de son ouvrage, Art Spiegelman a confié à CNBC sa stupéfaction. "J'ai rencontré tellement de jeunes qui ont appris des choses grâce à mon livre. (...) Je suis un peu déconcerté par cela. Cela me laisse bouche bée, du genre 'Quoi ?'", a-t-il ajouté en qualifiant la commission scolaire d'"orwellienne". Une référence au roman 1984, qui décrit un régime totalitaire fortement inspiré à la fois de certains éléments du stalinisme et du nazisme, où la liberté d'expression n'existe plus et où l'Histoire est réécrite. "Je comprends aussi que le Tennessee est manifestement fou. Il se passe quelque chose de très, très détraqué là-bas." 


Yohan ROBLIN

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