L'entreprise Lafarge informait-elle l'Etat français des agissements de Daech en Syrie ?

Publié le 23 avril 2018 à 14h07
L'entreprise Lafarge informait-elle l'Etat français des agissements de Daech en Syrie ?

Source : FRANCK FIFE / AFP

RÉVÉLATIONS - Alors que l'enquête se poursuit sur le financement de l'EI par le cimentier Lafarge en Syrie, le directeur sûreté du groupe industriel assure qu'entre 2012 et 2014, il informait régulièrement les services de renseignement français. Le rôle de l'Etat dans cette affaire judiciaire pose question.

Les services de renseignement français savaient-ils que l'entreprise Lafarge finançait l’Etat Islamique? C'est la question centrale qui a animé l'interrogatoire de Jean-Claude Veillard, ancien directeur sûreté de la multinationale française, par la juge d'instruction Charlotte Bilger le 12 avril dernier. L'homme fait partie des six dirigeants mis en examen pour avoir versé des commissions à différents groupes armés dont l'EI – plusieurs dizaines de milliers d'euros - entre 2012 et 2014. Le but de ce financement terroriste : continuer à faire tourner la cimenterie de Jalabiya, dans le nord de la Syrie.

Pour l'ancien commando de la Marine, il n'y a aucun doute. Il assure avoir rencontré lui-même à 33 reprises les différents services secrets français, agenda à l'appui. Des rendez-vous avec la Direction du renseignement Militaire (DRM), la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE) et la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI). "Je ne faisais aucun tri dans les informations que je donnais aux services des renseignement" a-t-il expliqué lors de cet interrogatoire dont Libération, Le Monde et Europe 1 ont pu obtenir une copie.

La juge creuse un peu plus : "Vous avez déclaré avoir appris la réalité du financement en 2014. Avez-vous informé les services de renseignement, avec lesquels vous déclariez être en contact régulier, des informations dont vous disposiez sur ce point ?" Le directeur de la sûreté répète avoir "donné toutes les informations". "Quelle était leur réaction?", demande alors Charlotte Bilger. "Ils engrangent les informations, c’est leur métier", répond-il laconiquement.

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Les services secrets connaissaient donc les agissements de l'entreprise. Un filon en or : ces échanges leur ont permis de recueillir de précieuses informations sur les forces en présence dans la région. Déjà lors de sa première audition le 3 avril, Claude Veillard précisait : "Mon point d’entrée pour la DGSE était le point d’entrée pour toutes les entreprises, qui n’était pas spécialement dédié pour Lafarge en Syrie. J’avais des échanges très réguliers avec lui, au cours desquels je lui transmettais les informations dont je disposais. Il arrivait que des personnes en charge de la situation syrienne demandent à me rencontrer, ce que j’acceptais." "Étiez-vous la seule source d’information pour la DGSE?", avait alors demandé la juge. "Dans cette partie de la Syrie, j’aurais la prétention de le croire", lui a répondu l'homme de 64 ans.

Des mails, saisis lors d'une perquisition au siège de la multinationale, confirment une solide relation entre celui qui a passé quarante ans au ministère de la défense avant de rejoindre Lafarge en 2008 et la DGSE. Le directeur de la sûreté précise également qu'il fournissait aux différents services de renseignement "tous les mois ou tous les deux mois", des cartes de la région répertoriant les positions des groupes armés et les checkpoints. Des données recueillies par les deux "gestionnaires de risques" du cimentier en Syrie "auprès des conducteurs, des clients, des fournisseurs et parfois des employés de l’usine de Jalabiya".

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L'affaire Lafarge ne se résumerait donc pas à une multinationale avide de continuer à engranger des profits dans une zone de guerre. Le système aurait servi l'Etat. L'affaire n'a pas fini de faire du bruit.


La rédaction de TF1info

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