"Personne ne dort, les gens sont traumatisés" : un Français habitant à Mexico raconte le séisme

par Sibylle LAURENT
Publié le 20 septembre 2017 à 12h03, mis à jour le 20 septembre 2017 à 15h37
"Personne ne dort, les gens sont traumatisés" : un Français habitant à Mexico raconte le séisme
Source : Raphaël Laurent

TÉMOIGNAGE – Il était 13 h environ. A Mexico, capitale du Mexique, Raphaël Laurent, correspondant pour le quotidien "Ouest-France", s’apprêtait à aller travailler. Et le séisme a commencé. Il raconte sa journée à LCI.

A Mexico, il est 2h38. Raphaël est au téléphone. Fatigué. Il n’a pas dormi de la nuit. Il est trentenaire, et correspondant à Mexico pour le journal Ouest-France depuis deux ans. Et la journée qu’il a vécue est... Il n'y a pas de mots, en fait. 

Raphaël habite en colocation dans le quartier Roma, coin branché de la capitale du Mexique. Au rez-de-chaussée. Ce mardi, 13h, il se prépare à sortir. "J’avais un rendez-vous professionnel, je me préparais à partir", raconte-t-il. "Et d’un coup, ça a tremblé, tremblé, de ouf. J’étais dans ma chambre, je suis sorti dans la rue, c’était le chaos. Comme par réflexe, j’ai filmé."

Il filme les gens qui sortent en courant de son immeuble. Apeurés, criant, ne sachant que faire. Les immeubles vibrent, les arbres palpitent. Tremblement qui saisit toute la ville, qui fait zigzaguer les poteaux électriques, sauter les compteurs et les conduites de gaz.  Qui fait paniquer, dans les rues. 

Les habitants contemplent les décombres.
Les habitants contemplent les décombres. - Raphaël Laurent

Tout le monde court, les gens ont peur que les immeubles s’écroulent
Raphaël Laurent, correspondant au Mexique

"Tout le monde s’est retrouvé dehors, tout le monde a sorti son portable", raconte Raphaël. "Moi aussi, j’ai essayé de prévenir mon père en France, de contacter mes amis sur place, mes proches... L’électricité a été coupée, Internet a été coupé, mais on réussissait à se contacter par WhatsApp, par intermittence." Mais, très vite aussi, les batteries des téléphone se sont usées, les habitants ont cherché des palliatifs. "On a essayé de les recharger sur les voitures. Dans la rue, c’était le chaos. Il y avait des fuites de gaz, on interdisait aux gens de fumer. L'aide s'est rapidement organisée, des chaînes humaines pour apporter de l’eau, de vivres. Les gens de la Topos, la brigade spécialisée dans la recherche de victimes, ont spontanément sorti leurs blouses blanches et repris du service. Les habitants commencent à fouiller les décombres." 

Tout ça, Raphaël filme. Sans doute, il n’a pas réalisé sur le coup. "Je tremblais beaucoup. Ça se voit sur la vidéo. J’ai ressenti la peur après."  Et, peu à peu, les mots viennent. "C’est flippant. Cette secousse, c’est vraiment flippant. Tout le monde court, les gens ont peur que les immeubles s’écroulent, les constructions sont de mauvaise qualité ici. On a eu la peur de notre vie. J’ai cru que j’allais mourir." 

Et la panique règne, la confusion est totale. Les habitants restent dans la rue. "Parce que leur immeuble est tellement endommagé qu’il menace de s’effondrer. On ne l’a pas senti, mais il y a eu 5 répliques depuis ce matin." La ville est comme happée. Les communications sont difficiles - 40% de la ville est sans électricité. Les voitures sont bloquées, tout est bloqué. Une de ses amies a dû marcher presque quatre heures pour aller chercher ses enfants à l’école. "Dans l’après-midi, il y a eu un gros mouvement de foule, sur une grande place. Tout le monde s'était rassemblé là", raconte Raphaël. "Des mecs de quartier ont un peu débarqué, il y a eu des petits pillages, c’était très confus, les gens couraient partout." 

Les Topos, du nom de la brigade spécialisée dans la recherche de victimes, ont repris du service.
Les Topos, du nom de la brigade spécialisée dans la recherche de victimes, ont repris du service.

J'ai pleuré comme un gosse
Raphaël Laurent, correspondant

Les bruits courent, les nouvelles circulent, rassurantes ou effrayantes. Raphaël entend parler d’une école qui s’était effondrée sur les élèves. Il veut aller voir. En passant, il traverse le quartier européen de Mexico. Il a habité là, un temps l’an dernier, avec sa copine. "Il y avait des monceaux de gravats, des immeubles effondrés", dit-il. "Au début, je n’ai pas fait attention, je n’ai rien reconnu. Et puis j’ai vu le restaurant où j’allais tous les jours. Dans cet immeuble effondré, il y avait l’appartement dans lequel j’habitais avec ma copine. Il n’y avait plus rien. Il y a des morts dans l’immeuble. J’ai pleuré comme un gosse." 

Triste ironie, ce mardi, c’était le 19 septembre. Date anniversaire, 32 ans après, de la catastrophe de 1985, un terrible tremblement de terre qui avait fait 10.000 morts et traumatisé les populations. Pour marquer la date, une alerte sismique devait retentir, à 11 h. Pour commémorer, mais aussi tester cette alarme qui doit annoncer les séismes. "Elle sonne, et on a 45 secondes pour sortir dans la rue", raconte Raphaël. "Sauf que l’alerte n’a pas marché à 11 h, on n’a rien entendu. Mais elle l’a fait 2h après, et elle a retenti en même temps que ça secouait." Trop tard, donc.

Il est maintenant 3 h du matin à Mexico. Raphaël a bossé, envoyé un papier au quotidien Ouest-France pour lequel il travaille, en France. A témoigné pour des chaînes télé. A aidé les siens. Maintenant, il devrait dormir. Se reposer, reprendre des forces. Mais n’a pas sommeil. Pas du tout. Comme tout le monde, ici.  "Plein de gens dorment dehors ce soir. Certains ont un immeuble branlant, ils n'ont pas du tout envie de dormir au 5e étage. Personne ne dort. Toutes les lumières sont allumées. Ils sont traumatisés, les Mexicains."


Sibylle LAURENT

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